Consultation d’urgence en ophtalmologie
Particularités de la consultation d'urgence
A. PIERRU, J.-L. BOURGES, E. TUIL
La consultation d'urgence en ophtalmologie est différente de la consultation programmée. Elle s'inscrit dans une pratique médicale de service de masse, immédiat, ponctuel et discriminant. Elle cible l'affection qui nécessite une prise en charge plus rapide que ne le permet un délai habituel. Elle s'attache donc au contexte, à la symptomatologie d'urgence et à tout ce qui pourrait influer sur la problématique d'urgence directement ou indirectement. À I'inverse, la consultation d'urgence n'a pas vocation à dépister, diagnostiquer, suivre ou prendre en charge des affections associées non urgentes, c'est-à-dire pour lesquelles l'intervention médicale serait compatible avec des délais normaux. On distingue donc plusieurs types de consultations d'urgence (fig. 4-1-1) :
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la consultation ponctuelle permet d'établir un diagnostic et de prodiguer un soin immédiat le cas échéant. Elle n'exclut pas un contrôle secondaire hors contexte d'urgence ;
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la consultation Initiale permet d'établir un diagnostic et organise une prise en charge d'aval immédiate ;
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la consultation exploratoire se fait en deux temps. Après l'examen initial, elle oriente le patient vers une exploration immédiate dont les résultats sont obtenus sans délai. Les explorations permettront d'établir ou de préciser un diagnostic et de prodiguer un éventuel soin ;
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la consultation d'orientation adresse le patient vers une exploration différée, qui ciblera les hypothèses diagnostiques retenues. Elle oriente le patient vers un aval secondaire, dont elle précise le délai. L'aval prendra en charge le patient sur la base des résultats exploratoires éventuellement. Elle ne représente donc que le point initial de deux étapes décalées dans le temps.
Elle peut être ponctuelle, initiale, exploratoire ou d'orientation.
Pour une consultation d'urgence, les motifs de consultation sont plus variés que pour une consultation programmée. Le premier motif d'une consultation programmée en ophtalmologie est la demande réfractive. Dans le cadre des urgences, les principaux motifs de consultation sont une symptomatologie ou un événement contextuel.
La symptomatologie est abordée plus loin. Il peut s'agir d'un œil rouge et/ou douloureux, d'une anomalie visuelle, de myodésopsies/phosphènes, d'un larmoiement, d'une diplopie, d'une anomalie pupillaire ou des annexes, etc.
Un contexte spécifique peut à lui seul conduire le patient à consulter en urgence. Des symptômes sont généralement associés, mais pas nécessairement. Par exemple, il peut s'agir d'une projection de corps étranger ou de toxique, d'un traumatisme orbitaire, d'une consultation d'urgence systématique associée à un traumatisme facial, d'un contexte d'événement oculaire pédiatrique sur demande exclusive des parents, etc.
Le rapport au patient est modifié dans le cadre de l'urgence. L'anxiété et le stress du patient, mais également ceux du praticien interfèrent variablement dans le déroulement de la consultation d'urgence. En effet, dans les services d'accueil d'urgence, le nombre de consultations par jour rapporté au nombre de médecins peut être élevé. La fatigue et le délai influent sur les consultations. De même, dans un cabinet libéral, la consultation non programmée d'urgence s'additionne au calendrier d'activité, souvent surchargé, du praticien en ophtalmologie. L'examen doit être ciblé en fonction du motif de consultation mais il restera bilatéral, comparatif et systématisé.
La consultation d'urgence diffère également d'une consultation classique par la manière dont elle est conduite ; les étapes de la consultation classique sont ajustées à la situation (fig. 4-1-2).
Les étapes de la consultation d'urgence suivent l'ordre imposé par la nécessité de : proposer un diagnostic, disposer d'une exploration ou pratiquer un soin dans des délais adaptés. Elles ne suivent donc pas obligatoirement l'enchaînement habituel d'une consultation programmée.
La consultation centre l'anamnèse, l'examen et les explorations sur la problématique d'urgence. Elle prend aussi en compte tous les aspects qui sont ou seraient susceptibles d'être immédiatement et secondairement en rapport avec l'affection d'urgence. À l'inverse, elle ne peut pas s'attarder sur les aspects ophtalmologiques dont la prise en charge dans un délai normal de consultation n'est pas handicapante ou péjorative pour la santé ophtalmologique du patient.
Lors de l'anamnèse, la première question porte sur le motif de consultation et le ou les signes fonctionnels en rapport. Ensuite, l'interrogatoire permet d'évaluer le terrain, par la recherche des antécédents et traitements interférents avec tous les items d'urgence ophtalmologique, avant de détailler ces symptômes fonctionnels oculaires, leur mode d'installation, leur durée d'évolution.
Les antécédents personnels médicaux (pathologies cardiovasculaires : diabète, hypertension artérielle, etc.), ophtalmologiques (chirurgie oculaire récente, port de lentilles de contact, myopie forte, etc.), familiaux (glaucome, décollement de la rétine) sont relevés ainsi que l’âge et la profession. L’anamnèse précise les traitements en cours, généraux et locaux (collyres hypotonisants, traitement postopératoire).
Selon le motif de consultation, des symptômes fonctionnels extra-oculaires sont recherchés (par exemple, neurologiques). Dans le cadre du service d'accueil des urgences, cette étape importante est réalisée par l'infirmier(ière) d'accueil dès l'arrivée aux urgences. En pratique libérale, le personnel d'accueil remplit cette fonction. Cette étape permet une première estimation du degré d'urgence de l'affection et identifie précocement les patients nécessitant un examen prioritaire. La responsabilité de cette étape incombe au corps médical, qui garantit la fiabilité de ses collaborateurs dans l'exécution de cette tâche. Ensuite, l'interrogatoire est complété par le praticien qui détaille point par point les éléments précédemment cités et assigne la priorisation des patients. Un interrogatoire bien mené permettra d'orienter au mieux l'examen physique afin de poser le bon diagnostic. Il pourra être complété selon les premières constatations cliniques.
L'anamnèse d'urgence rapporte deux types d'éléments : la symptomatologie d'urgence (les signes fonctionnels) et les observations anatomiques et physiques (signes physiques) relevées par le patient ou son entourage. La symptomatologie fonctionnelle est subjective. Elle est ressentie par le patient et rapportée au soignant. Elle n'est pas toujours directement objectivable. Par exemple, la douleur n'est pas directement observable, mais peut être objectivée indirectement par des signes physiques. Les signes physiques peuvent être objectivés à l'examen clinique par le praticien. Ils sont généraux, soit communs à plusieurs items d'urgence, soit spécifiques à chaque item.
L'examen clinique commence par l'estimation de l'acuité visuelle. Elle est systématique en cas de modification d'acuité visuelle rapportée par le patient. C'est une mesure médico-légale en cas de traumatisme, d'accident du travail, avant toute chirurgie d'urgence. Elle est estimée pour chaque œil en vision de loin et de près, si possible après mesure à l'autoréfractomètre. L'échelle classiquement utilisée en vision de loin fait lire les lettres de l'alphabet. Si le patient est illettré ou selon l'âge, les chiffres, les dessins ou l'échelle des E de Snellen peuvent être utilisés. Parfois, seule une estimation grossière de l'acuité visuelle est possible dans le contexte de l'urgence. En vision de près, on utilisera l'échelle de Parinaud ou l'échelle des E de Snellen pour les patients illettrés.
L'examen clinique est orienté par l'anamnèse et le contexte. Il est ciblé en fonction des signes fonctionnels retrouvés à l'interrogatoire. L'examen clinique commence par l'inspection. Les structures potentiellement impliquées doivent être analysées.
Selon l’orientation de l’anamnèse, l’examen des paupières recherche notamment la présence de vésicules cutanées (herpès, virus varicelle-zona), de lésions du bord libre des paupières (molluscum contagiosum), une blépharite antérieure (hyperhémie antérieure du bord libre, dépôts squameux sur les cils, parasitose) ou postérieure (sécrétions mousseuses, expression de meibum épaissi au niveau des glandes de Meibomus, télangiectasies), une malposition palpébrale (entropion, ectropion, trichiasis, lagophtalmie) ou une malocclusion palpébrale.
L'examen en lampe à fente lui aussi est orienté selon la problématique clinique urgente. Il analyse l'œil de la partie antérieure vers la partie postérieure en détaillant les annexes, la conjonctive, la sclère, la cornée, la chambre antérieure, l'iris, le cristallin, l'angle iridocornéen, la pression intra-oculaire et le fond d'œil.
L'analyse de la conjonctive bulbaire recherche notamment une hyperhémie (diffuse ou localisée), un chémosis (œdème de la conjonctive), des sécrétions (claires, filamenteuses, purulentes).
L'exploration du cul-de-sac conjonctival inférieur et l'éversion de la paupière supérieure permettent l'analyse de la conjonctive tarsale. Selon le contexte, on recherche un corps étranger sous-palpébral (à suspecter notamment en cas de lésion cornéenne supérieure), des follicules ou des papilles (éléments d'orientation étiologique dans les conjonctivites) en éversant la paupière supérieure (fig. 4-1-3). Pour cela, il faut d'une part étendre la paupière supérieure vers le bas en exerçant une pression douce sur les cils et d'autre part faire un contre-appui (par exemple au moyen d'un coton-tige) au niveau du pli palpébral supérieur (vidéo 4-1-1).
a. Utilisation d'un objet mousse comme contre-appui au niveau du pli releveur supérieur. b, c. Décollement de la paupière supérieure du globe (b) en la plaquant contre le contre-appui (c). d. Maintien de la paupière éversée plaquée contre l'os du rebord orbitaire frontal après avoir retiré le contre-appui.
L'analyse de la cornée se fait d'abord en illumination directe, avant toute instillation de colorant vital, puis en fente large, à faible grossissement. Elle évalue la transparence cornéenne et la présence de lésions (topographie, nombre). En cas d'atteinte cornéenne, le type de lésion est ensuite analysé en fente fine et oblique à fort grossissement. La coloration de la surface oculaire par la fluorescéine, disponible en unidoses stériles à la concentration de 2 %, est un élément important de l'examen de la conjonctive et de la cornée.
La coloration est utilisée dans le diagnostic des érosions cornéennes, mais également dans la mesure du temps de rupture du film lacrymal ou break-up time (BUT). La technique consiste à instiller une goutte de fluorescéine dans le cul-de-sac conjonctival.
L'imprégnation par ce colorant traduit une rupture des jonctions intercellulaires, ne marquant pas les cellules intactes. Le marquage n'est pas modulé par la qualité du film lacrymal sus-jacent [1].
Les sécrétions et filaments muqueux sont également colorés. L’intensité de la fixation est évaluée à l’aide d’une lumière bleue cobalt (longueur d’onde < 420 nm) qui stimule la fluorescéine. Initialement orange, elle fluoresce dans le vert et colore ainsi toute lésion cornéenne du fait du défect épithélial. Le temps de rupture du film lacrymal (BUT) permet de juger de la stabilité du film lacrymal. Après plusieurs clignements, on demande au patient de fixer son regard.
L'intervalle de temps, en secondes, entre le dernier clignement et l'apparition de la première rupture du film lacrymal pré-cornéen est appelé break-up time (BUT). Il est considéré comme pathologique en dessous de 10 secondes [2]. Ce test, de réalisation simple aux urgences, permet d'orienter le diagnostic vers une pathologie lacrymale. Le film lacrymal est considéré comme rompu lorsqu'il ne recouvre plus la surface oculaire en une couche homogène. Une anesthésie cornéenne est recherchée avant instillation d'un collyre anesthésiant, par exemple au moyen d'un coton-tige effilé.
L'analyse du segment antérieur de l'œil doit être débutée avant toute dilatation pupillaire, qui pourrait masquer une anomalie irienne ou de l'angle iridocornéen, et/ou fausser l'analyse de la profondeur de la chambre antérieure ou de la pression oculaire.
L'analyse de la chambre antérieure recherche la présence d'un effet Tyndall – particules en suspension, inflammatoires (uvéite) ou hématiques (post-traumatiques, hyphéma). Elle évalue la profondeur de la chambre antérieure en périphérie par la méthode de van Herick. L'espace entre la face antérieure de l'iris et l'endothélium cornéen rapporté à l'épaisseur cornéenne permet d'estimer la profondeur de la chambre antérieure. Un angle iridocornéen est suspect de fermeture lorsque la profondeur de la chambre antérieure au limbe est inférieure ou égale au quart de l'épaisseur cornéenne vue en fente fine avec une inclinaison de 60° ou 45°. Cette méthode ne remplace pas totalement une gonioscopie mais peut aider lorsque l'angle n'est pas accessible.
L’analyse de l’angle iridocornéen se fait au mieux par gonioscopie en utilisant un verre spécifique (verre à 3 miroirs de Goldmann, verre à 4 miroirs de Posner). Celui-ci permet d’évaluer l’ouverture de l’angle et rechercher des anomalies telles des synéchies antérieures périphériques (témoins de poussée inflammatoire ou de crise ancienne de fermeture de l’angle), une pigmentation anormale ou encore la présence de néovaisseaux (orientant vers un glaucome néovasculaire).
En cas de douleur oculaire, de rougeur, de perte de la transparence cornéenne, d'inflammation du segment antérieur, la mesure du tonus oculaire au tonomètre à air pulsé ou au tonomètre de Goldmann par aplanation recherche une hypertonie oculaire.
L'examen du fond d'œil après dilatation pupillaire, en l'absence de risque de fermeture de l'angle iridocornéen, s'impose par exemple dans le cadre de traumatismes (accident du travail), d'anomalies visuelles, de signes fonctionnels de type myodésopsies, phosphènes, métamorphopsies. Il est réalisé au moyen de lentilles contact ou non-contact. Pour les patients non examinables à la lampe à fente, le fond d'œil est réalisé à l'ophtalmoscope direct ou avec un casque de Schepens.
Le fond d'œil analyse le vitré (transparence, présence de cellules inflammatoires, de sang), la macula (hémorragie, lésions évoquant une dégénérescence maculaire liée à l'âge, coloration anormale), le nerf optique (hémorragie, œdème, excavation papillaire), les vaisseaux (aspect blanchâtre, dilatation veineuse, artères grêles) et la rétine périphérique (vascularites, plages d'ischémie blanchâtre, décollement de la rétine, déhiscences). L'utilisation de lentilles grand champ type quadrasphérique, de verres à 3 miroirs permet une analyse plus fine de la périphérie rétinienne.
L'examen clinique recherche des signes physiques extra-oculaires tels que la présence d'adénopathies préauriculaires et sous-mandibulaires (étiologie virale) dans un contexte infectieux ou de contage à l'anamnèse. Des règles d'asepsie sont nécessaires entre chaque patient devant le risque de transmission d'infections virales, comprenant la désinfection des mains mais également de la lampe à fente.
L'examen clinique pourra être complété selon les patho I ogies suspectées par des examens ciblés d'imagerie ophtalmologique ( optical coherence tomography [OCT], échographie en mode B, etc.), orthoptiques (champ visuel, test de Lancaster, etc.) ou d'imagerie conventionnelle (scanner ou imagerie par résonance magnétique cérébro-orbitaire).
Le but de la consultation d'urgence est de proposer un diagnostic, d'orienter les explorations immédiatement utiles et de traiter la pathologie pour laquelle le patient consulte. Cependant, l'examen peut observer ou révéler une pathologie chronique spécifique. Il permet alors de réorienter le patient vers la consultation adéquate et/ou vers une prise en charge d'aval adaptée.
[1] Bron AJ, Evans VE, Smith JA. Grading of corneal and conjunctival staining in the context of other dry eye tests. Cornea 2003 ; 22 : 640-50.
[2] Shapiro A, Merin S. Schirmer test and break-up time of tear film in normal subjects. American journal of ophthalmology. 1979 ; 88 : 752-7.
Symptomatologie fonctionnelle d'urgence
A. PIERRU, A. MOULANA, C. BELA, C. VIGNAL-CLERMONT, E. TUIL
Consultation d’urgence en ophtalmologie
Les signes fonctionnels et les signes physiques oculaires motivent le patient à formuler une demande de soins non programmés en ophtalmologie (DSNPO), la consultation d'urgence. En ophtalmologie, la symptomatologie est très stéréotypée pour 80 % des DSNPO ou des passages en structure d'urgence (tableau 4-2-1). En revanche, elle peut être particulièrement variée : un tiers des patients rapporte un symptôme unique ; un autre tiers présente l'association de deux symptômes ; un quart se plaint de trois symptômes associés et l'autre quart d'encore plus de symptômes (données non publiées sur un recueil de 28 863 dossiers consécutifs de structure d'urgence ophtalmologique en 2016).
Symptômes | Nombre | % | Proportion |
---|---|---|---|
Œil douloureux | 34 715 | 39 % | |
Anomalie visuelle, incluant: | 22 014 | 25 % | 82 % |
| 1800 | 2 % | |
| 1618 | 2 % | |
| 254 | 0 % | |
| 194 | 0 % | |
Œil rouge | 16 936 | 19 % | 36 % |
Larmoiement | 4996 | 6 % | |
Sensation de corps étranger | 2908 | 3 % | |
Tuméfaction paupière/orbite | 2547 | 3 % | |
Céphalées | 1404 | 2 % | |
Photophobie/blépharospasme | 1160 | 1,3 % | |
Sécrétions conjonctivales/œil collé | 1074 | 1,2 % | |
Éclair lumineux/phosphène | 965 | 1,1 % | |
Hémorragie conjonctivale | 766 | 0,9 % | < 2 % |
Œdème conjonctival/chémosis | 259 | 0,3 % | |
Pupille anormale | 18 | 0,02 % | |
Total | 89 762 | 100 % |
Les traumatismes oculaires sont abordés au chapitre 5.1 . Le contexte est généralement évident, hormis en ophtalmologie pédiatrique (voir chapitre 5.5 ). La survenue est brutale. Le délai de consultation est habituellement court après le traumatisme. La symptomatologie oculaire, même si elle est souvent au premier plan dans le contexte d'une urgence ophtalmologique, ne doit pas occulter une possible implication extra-oculaire du traumatisme, dont il faut évaluer la priorisation.
La notion de traumatisme est le plus souvent rapportée d'emblée par le patient mais doit être recherchée systématiquement devant tout œil rouge. Les traumatismes peuvent être de différentes natures : chimiques, physiques ou mécaniques. Ils nécessitent une prise en charge protocolisée selon la classification internationale Birmingham Eye Trauma Terminology system (BETT) [1].
La classification internationale Birmingham Eye Trauma Terminology (BETT), publiée en 1996 par Kuhn et toujours d’actualité, sépare les traumatismes à globe fermé de ceux à globe ouvert [1]. Deux grands types de traumatismes sont identifiés. En cas de perte d’intégrité de la paroi du globe oculaire (cornée et sclère) et de présence d’une lésion de pleine épaisseur, le traumatisme est dit à globe ouvert, sinon il est dit à globe fermé. Les traumatismes à globe fermé comprennent les contusions, les atteintes cornéennes qui ne sont pas de pleine épaisseur et les lacérations lamellaires avec et sans corps étrangers superficiels. Les traumatismes à globe ouvert surviennent selon deux mécanismes : la rupture du globe oculaire ou les lacérations oculaires avec plaie pénétrante ou perforante.
D'après une étude épidémiologique réalisée conjointement dans les trois services d'urgence ophtalmologique parisiens sur une période de 15 jours consécutifs [2], les traumatismes oculaires représentaient 15,5 % des consultations en structure d'urgence. La symptomatologie traumatique était dominée par la rougeur oculaire, la sensation de corps étranger (SCE) et les douleurs (fig. 4-2-1). Ces trois symptômes pouvant être associés représentaient plus de la moitié du panel des symptômes post-traumatiques. Les autres symptômes étaient un trouble visuel permanent (2,5 %), une tuméfaction de paupière (2,5 %), une sensation de brÛlure oculaire (1 %), un blépharospasme, une diplopie, une gêne de surface oculaire ou une photophobie.
SCE : sensation de corps étranger.
Les traumatismes oculaires peuvent aller d'une simple ulcération mécanique de cornée à des traumatismes à globe ouvert nécessitant une prise en charge chirurgicale en urgence et engageant le pronostic fonctionnel et anatomique. Une priorisation ciblée dès l'arrivée aux urgences permet d'orienter au mieux le patient et d'adapter la prise en charge en fonction du degré d'urgence.
L'interrogatoire recherche les circonstances, la nature du traumatisme, son mécanisme et la date de survenue. Il précise les antécédents généraux et ophtalmologiques, les traitements en cours et les allergies potentielles. Le type de profession est également important, certains corps de métier étant fréquemment soumis à la projection de corps étranger oculaire. Selon le mécanisme du traumatisme, le statut vaccinal sera précisé, notamment en cas de contact avec du métal souillé. Si une prise en charge chirurgicale est nécessaire, l'heure du dernier repas doit être précisée. Le recueil des signes fonctionnels (douleur, rougeur, anomalie visuelle, etc.) oriente vers l'item d'urgence à diagnostiquer. Il permettra, par exemple en cas de diplopie binoculaire, d'orienter vers une fracture orbitaire associée au traumatisme. La notion d'accident de travail doit également être recherchée. Quatre paramètres sont à préciser en cas de traumatisme qu'il soit à globe ouvert ou fermé afin d'évaluer au mieux le pronostic visuel : l'acuité visuelle initiale, le type de traumatisme, l'atteinte pupillaire et la localisation du traumatisme. Le mécanisme du traumatisme est un élément crucial de l'interrogatoire nous permettant d'orienter rapidement notre examen clinique et d'évaluer le degré d'urgence. Un traumatisme par balle de squash ou de tennis, ou par coup de poing oriente vers une contusion en premier lieu. Certaines complications pouvant survenir à distance du traumatisme initial, il est important de rechercher à l'interrogatoire un antécédent de traumatisme même ancien, notamment devant une hypertonie, une cataracte ou encore une pathologie maculaire.
L'acuité visuelle est testée de loin et de près pour rechercher une anomalie visuelle sur l'œil traumatique. C'est, dans ce cas-là, une mesure médico-légale. Une myopisation d'indice et des troubles de l'accommodation peuvent en effet se voir après une contusion [3]. L'amélioration visuelle à travers un trou sténopéique la fait suspecter. En cas de baisse d'acuité visuelle post-contusive chez un patient non-porteur de corrections optiques, une correction rapide après réfraction peut la faire remonter.
L'inspection recherche la présence d'un hématome ou œdème péri-orbitaire, d'une plaie cutanée voire des paupières. La motricité conjuguée des deux yeux est testée pour rechercher une paralysie oculomotrice, une diplopie binoculaire dans le cadre des traumatismes de la face, afin d'éliminer une fracture orbitaire associée. La sensibilité de la face et la présence d'un emphysème sous-cutanée sont également à rechercher dans ce cadre.
L'examen en lampe à fente ne doit pas méconnaître une lésion. L'examen de la conjonctive bulbaire et tarsale (par éversion de la paupière supérieure) recherche par exemple une hyperhémie, une plaie, la présence de corps étranger sous-palpébral, une ulcération, une hémorragie sous-conjonctivale. En cas de plaie conjonctivale, il faut vérifier, après instillation d'une goutte de collyre anesthésiant, à l'aide par exemple d'un bâtonnet, que la sclère ne soit pas à nue. Une exploration au bloc opératoire est nécessaire dans ce cas. De même, en cas de chémosis hémorragique sur 360° rendant difficile l'examen, il ne faut pas hésiter à explorer le patient au bloc opératoire pour ne pas méconnaître une plaie sclérale.
On évalue ensuite la transparence de la cornée. La présence de stries endothéliales verticales est en faveur d'une rupture post-contusive de la membrane de Descemet, responsable d'un œdème cornéen. L'examen de la cornée après instillation d'une goutte de fluorescéine permet de rechercher une perte d'intégrité de l'épithélium cornéen, la présence d'un corps étranger. En cas de lacération lamellaire, on évalue la taille, la profondeur et la localisation de l'ulcération par rapport à l'axe visuel (fig. 4-2-2). Le test à la fluorescéine permet de rechercher un signe de Seidel, fuite d'humeur aqueuse au travers d'une plaie transfixiante cornéenne (fig. 4-2-3 et vidéo 4-2-1). En cas d'ulcère cornéen, on recherchera un début d'abcès de cornéen, notamment en cas de traumatisme avec végétaux.
La profondeur de la chambre antérieure est évaluée à la recherche d'une perte de profondeur du côté traumatique, par rapport à l'œil adelphe, évoquant une plaie transfixiante. Au contraire, l'augmentation de la profondeur oriente, par exemple, vers une récession angulaire ou encore une plaie sclérale postérieure. En cas d'approfondissement de la chambre antérieure dans le cadre d'une contusion, et après s'être assuré qu'il n'existait pas de traumatisme à globe ouvert, une gonioscopie pourra être réalisée. La présence d'un élargissement de la bande ciliaire et un éperon scléral anormalement visible sont en faveur d'une récession angulaire (fig. 4-2-4).
Le jeu pupillaire doit être testé avant toute dilatation en cas de traumatisme. Une ectopie pupillaire est un signe indirect de plaie. Une asymétrie ou une diminution du réflexe pupillaire peut orienter vers une rupture du sphincter irien, notamment dans le cadre de contusion. On peut également observer une irido-dialyse (fig. 4-2-5).
La transparence du cristallin est évaluée, de même que son intégrité et sa position, à la recherche d'une mobilité excessive du cristallin ou phacodonésis.
La pression intra-oculaire est un élément majeur de l'examen d'un œil traumatique. Une hypotonie peut évoquer un traumatisme à globe ouvert ou une atteinte du corps ciliaire (sidération), à l'inverse une hypertonie peut se voir dans les contusions liées à la présence d'un Tyndall hématique voire d'un hyphéma ou à l'atteinte angulaire. L'hyphéma peut être minime et ne se voir qu'à l'examen en lampe à fente qui devra être réalisé avant dilatation (fig. 4-2-6). En cas d'hyphéma important, il peut être visible à l'œil nu. Il est important d'évaluer le stade de l'hyphéma car cela influence la prise en charge [4]. Les complications possibles sont l'hypertonie réfractaire, les synéchies iridocornéennes antérieures, l'hématocornée, les anomalies accommodatives.
Le fond d'œil après dilatation recherche la présence d'un corps étranger intra-oculaire, d'une hémorragie intravitréenne évoquant une plaie transfixiante, d'un œdème rétinien post-contusif ou encore de déhiscences périphériques.
Un examen général doit être associé à l'examen ophtalmologique et rechercher notamment un traumatisme maxillo-facial (anesthésie cutanée, trouble de l'articulé dentaire ou de l'ouverture buccale) ou crânien associé. Selon la gravité du traumatisme et le mécanisme, on recherchera une perte de connaissance initiale. En cas de suspicion de fractures orbito-faciales associées, de complication cérébrale ou de suspicion de corps étranger intra-orbitaire, il ne faudra pas hésiter à adresser le patient pour la réalisation d'un scanner cérébral. Toute suspicion de traumatisme à globe ouvert doit faire contre-indiquer une échographie oculaire. Toute suspicion de corps étranger intra-orbitaire doit faire contre-indiquer une imagerie par résonance magnétique (IRM).
L'examen est à orienter en fonction du mécanisme du traumatisme et des symptômes fonctionnels décrit par le patient. Lorsque le contexte et l'examen sont en faveur d'un corps étranger superficiel ou de lacération lamellaire isolés, le fond d'œil dilaté n'est pas indispensable. En revanche, devant une contusion ou une suspicion de traumatisme à globe ouvert, ou en cas de doute, le fond d'œil est obligatoire.
L'évaluation de l'acuité visuelle de loin et de près est une mesure médico-légale dans les suites d'un traumatisme. Elle peut avoir plusieurs origines :
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la perte de la transparence cornéenne liée à la présence d'une ulcération ou d'un corps étranger situé dans l'axe visuel, visibles après instillation d'une goutte de fluorescéine. Le symptôme dominant est le blépharospasme larmoyant ;
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la présence d'un Tyndall hématique dans la chambre antérieure, voire d'un hyphéma (niveau hématique de déclivité inférieure) qui peut être aussi bien un signe de traumatisme à globe fermé (contusion) qu'un signe de traumatisme à globe ouvert. La symptomatologie est éclectique. L'interrogatoire a donc un rôle très important en déterminant le mécanisme du traumatisme. En dehors d'une plaie cornéenne et/ou sclérale évidente, il faudra rechercher d'autres signes de traumatisme à globe ouvert comme un signe de Seidel, une déformation pupillaire, une asymétrie de profondeur de chambre antérieure ou encore une hypotonie. La pression intra-oculaire doit être évaluée non seulement pour ne pas méconnaître un traumatisme à globe ouvert mais également pour rechercher une hypertonie qui peut compliquer une contusion. Selon l'importance de l'hyphéma et de l'hypertonie, le patient devra être transféré vers une structure hospitalière pour la suite de la prise en charge ;
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une luxation cristallinienne ou opacification cristallinienne post-traumatique avec développement d'une cataracte précoce, retrouvée dans 11 % des contusions oculaires [5]. En effet, la modification de position du cristallin peut induire des troubles réfractifs et ainsi entraîner une anomalie visuelle avec baisse d'acuité visuelle, qui correspond au symptôme dominant. Un patient présentant une altération visuelle unilatérale en rapport avec une cataracte mÛre voire blanche doit faire rechercher une notion de traumatisme antérieur et la présence d'un phacodonésis (mouvements excessifs du cristallin lors des mouvements oculaires traduisant une fragilité zonulaire post-traumatique). Après un traumatisme dans un contexte pseudo-phaque, il n'est pas rare d'observer une luxation de la lentille intra-oculaire (fig. 4-2-7) ;
Fig. 4-2-7 Luxation pseudo-cristallinienne post-traumatique. - –
une hémorragie intravitréenne (HIV), qui peut être liée à un traumatisme à globe ouvert. L'anomalie visuelle est au premier plan, parfois profonde. En cas de doute sur l'existence d'une plaie sclérale postérieure, une exploration chirurgicale en urgence est la règle. Elle peut traduire également la présence d'un corps étranger intra-oculaire. Le diagnostic est alors confirmé par la réalisation d'un scanner orbitaire. Les HIV compliquent plus de 60 % des contusions [6]. En cas d'inaccessibilité au fond d'œil, une échographie oculaire en mode B devra être réalisée rapidement à la recherche d'une déchirure rétinienne, voire d'un décollement de la rétine ;
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en l'absence de troubles des milieux et devant une anomalie visuelle post-traumatique, un fond d'œil dilaté recherchera une atteinte rétinienne expliquant l'anomalie visuelle. L'aspect blanchâtre de la région maculaire évoque un œdème de Berlin (œdème maculaire post-contusif) qui peut également être visible en périphérie rétinienne. L'aspect de trou maculaire vu au fond d'œil évoque un trou maculaire post-traumatique dont le diagnostic sera confirmé par la réalisation d'une tomographie par cohérence optique ( optical coherence tomography [OCT]) maculaire [7]. Un décollement de la rétine avec atteinte maculaire, survenant généralement à distance du traumatisme, pourra également être pourvoyeur d'altération visuelle. L'aspect de croissant jaunâtre au fond d'œil de disposition radiaire par rapport au nerf optique oriente vers une rupture choroïdienne. La symptomatologie correspond alors à une anomalie visuelle si elle est (para) maculaire (baisse d'acuité visuelle, métamorphopsie, scotome central) ;
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une anomalie visuelle majeure, sans troubles des milieux, associée à un déficit pupillaire afférent relatif dans les suites d'un traumatisme oriente vers une contusion du nerf optique ; une cécité complète associée à une mydriase aréflexique oriente vers une avulsion du nerf optique. Dans les deux cas, un scanner orbitaire avec coupes fines centrées sur l'apex, à la recherche d'une esquille osseuse, sera réalisé.
Le nombre et l'intensité des symptômes dépendent par exemple de l'exposition, de l'agent vulnérant, de la prise en charge immédiate avant l'examen. Dès l'arrivée aux urgences, la mesure du pH est pratiquée si possible avec une bandelette réactive placée au niveau du cul-de-sac conjonctival. Il est important d'identifier précisément le produit projeté au niveau des yeux et sa nature acide ou basique. Dans tous les cas, un lavage oculaire abondant si possible avec un écarteur de paupières sera débuté avant même l'examen clinique avec du sérum physiologique et prolongé 15 minutes. Dans tous les cas de projection, il faut éverser la paupière supérieure à la recherche d'un corps étranger.
Il s'agit par exemple d'une kératite ponctuée superficielle (KPS) dans les suites d'une exposition à des rayonnements ultraviolets sans protection (soudure à l'arc, exposition solaire au ski, etc.). Le contexte est en général rapporté par le patient et les symptômes évoquant l'atteinte cornéenne associent photophobie, sensation de corps étranger, larmoiement. Ils surviennent typiquement 8 à 10 heures après l'irradiation.
Les brÛlures thermiques (flamme de briquet, vapeur chaude, eau bouillante, etc.) sont également possibles touchant souvent principalement les paupières, les patients ayant un réflexe de clignement palpébral. Un examen à la recherche d'une atteinte épithéliale doit être systématique. Les symptômes sont alors ceux d'une exposition aux rayonnements.
Le patient consulte pour un œil rouge vif. La présence d'une hémorragie sous-conjonctivale (HSC) post-traumatique impose de réaliser un examen complet et attentif de l'œil pour ne pas méconnaître un traumatisme à globe ouvert. En effet, une HSC peut tout aussi bien se voir dans les suites d'une contusion ou d'une lacération lamellaire conjonctivale (traumatisme par branche d'arbre, par exemple) que masquer une plaie sclérale (fig. 4-2-8). Après avoir instillé une goutte d'anesthésie topique, l'HSC sera mobilisée avec un bâtonnet pour vérifier l'intégrité de la sclère sous-jacente. En cas de doute ou de plaie avérée, le patient nécessitera une exploration chirurgicale au bloc opératoire en urgence. Un fond d'œil après dilatation est à réaliser à la recherche notamment d'un corps étranger intra-oculaire.
La sensation de corps étranger (SCE) est un symptôme fonctionnel pour lequel entre 3 et 35 % des patients consultent en urgence [2, 8]. Elle ne correspond pas nécessairement à la présence réelle d'un corps étranger. Elle serait un symptôme isolé dans 13 % des cas [8]. Si cela n'a pas été précisé initialement par le patient, la SCE doit faire rechercher à l'interrogatoire une notion de traumatisme avec notamment un contexte favorisant souvent retrouvé (bricolage, jardinage, déplacement en deux roues, etc.). L'association avec un œil rouge, douloureux, photophobe évoque une atteinte cornéenne. La présence d'un œdème palpébral et d'un blépharospasme oriente vers la présence d'un corps étranger superficiel. L'utilisation d'une goutte d'anesthésiant topique facilite l'examen en limitant la douleur et le blépharospasme.
Comme décrit précédemment, il faut analyser la conjonctive et la cornée avant et après instillation d'une goutte de fluorescéine. Cela permet de mieux visualiser le corps étranger s'il est encore présent.
Il s'agit généralement d'un corps étranger superficiel localisé au niveau de la conjonctive bulbaire ou prétarsale du cul-de-sac inférieur, voire adhérent à la cornée (fig. 4-2-9).
Devant la présence d’une ulcération cornéenne ou d’une prise de fluorescéine (kératite ponctuée superficielle, griffure cornéenne) dans la partie supérieure de la cornée, il faut éverser la paupière supérieure à la recherche d’un corps étranger sous-palpébral. Ce type de symptôme se retrouve également dans d’autres atteintes cornéennes post-traumatiques. L’examen peut en effet mettre en évidence une ulcération cornéenne lamellaire (ou lacération lamellaire) sans corps étranger, par exemple après un coup d’ongle ou de branche d’arbre. Dans ce type de traumatisme, il faut toujours s’assurer que la lésion cornéenne ne concerne pas toute l’épaisseur de la cornée, et rechercher les signes cités précédemment orientant vers un traumatisme à globe ouvert.
Les traumatismes à globe ouvert sont souvent évidents lorsqu'il s'agit de lacération pénétrante ou perforante liée à un objet tranchant. Cependant les ruptures sclérales peuvent passer inaperçues. La suspicion naît du contexte, car la symptomatologie n'est pas spécifique. La recherche de signes indirects de traumatismes à globe ouvert est alors très importante : asymétrie ou déformation pupillaire, hypotonie oculaire, asymétrie de profondeur de la chambre antérieure. Devant toute suspicion de traumatisme à globe ouvert, il faudra rechercher la présence d'un corps étranger intra-oculaire (CEIO), qui peut être évident dans le segment antérieur. En cas de suspicion de CEIO, il faudra réaliser une imagerie orbitaire et cérébrale (au mieux un scanner, sinon des radiographies standard ; en revanche, l'IRM est contre-indiquée).
Dans tous les cas, devant toute suspicion de traumatisme à globe ouvert, si le patient n'est pas examiné dans une structure hospitalière permettant une exploration chirurgicale en urgence, il devra être transféré le plus rapidement possible vers la structure adaptée la plus proche. De même, en cas de suspicion de traumatismes osseux ou cérébral associés, un scanner devra être réalisé avant toute intervention chirurgicale.
La rougeur oculaire est un motif fréquent de consultation en urgence ophtalmologique. Dans notre étude [2], elle était présente chez 14 % des patients non traumatisés en demande de soins non programmés (DSNP) dans une structure d'urgence d'ophtalmologie. Ce signe fonctionnel peut être aussi bien lié à une affection bénigne telle une conjonctivite (37 % des rougeurs non traumatiques) qu'à une affection engageant le pronostic visuel telle une endophtalmie. Les uvéites représentaient 10 % des yeux rouges, tandis que les suites immédiates postopératoires représentaient 6 % des patients ayant ce symptôme. Trois pour cent des yeux rouges étaient porteurs de lentilles souples. Cela justifie donc un examen clinique systématique devant une DSNPO pour œil rouge atraumatique, afin de ne pas méconnaître une pathologie grave. Dans un premier temps, il est important de rechercher s'il existe une anomalie visuelle associée et/ou une douleur, pour identifier une pathologie grave menaçant la fonction visuelle et/ou l'intégrité du globe oculaire.
L’anamnèse fait préciser le mode d’installation, la durée des symptômes, leur évolution, les antécédents généraux et ophtalmologiques, les circonstances de survenue (port de lentilles de contact, traumatisme, etc.), les caractéristiques de la douleur ainsi que les autres signes fonctionnels associés (larmoiement, prurit, sécrétions,photophobie, sensation de corps étranger, etc.). La notion de traumatisme est toujours recherchée devant un oeil rouge, de même que la profession du patient (fréquence des corps étrangers superficiels dans le cadre d’accident du travail). Il faut faire préciser si l’atteinte est unilatérale ou bilatérale.
L'association de signes fonctionnels permet d'orienter l'examen clinique afin de poser le bon diagnostic.
L'interrogatoire individualise trois cas de figure (fig. 4-2-10) :
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un œil rouge indolore sans Anomalie visuelle ;
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un œil rouge et douloureux sans Anomalie visuelle ;
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un œil rouge et douloureux avec Anomalie visuelle.
La symptomatologie, le contexte et les signes physiques orientent vers une étiologie probabiliste (tableau 4-2-2).
Symptômes | Contextes | Signes physiques orientant |
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Si l'interrogatoire retrouve les signes fonctionnels suivants – sensation de grains de sable ou SCE, présence de sécrétions, larmoiements associés à l'examen clinique, à une rougeur diffuse et un chémosis (œdème de la conjonctive) –, le diagnostic à évoquer est une conjonctivite. Son inflammation peut être d'origine infectieuse, allergique ou toxique. Le contexte clinique, l'importance du larmoiement, le type de sécrétions ainsi que l'aspect de la conjonctive sont autant d'éléments qui orientent vers l'étiologie. Les sensations gênantes oculaires sont superficielles, calmées par l'instillation d'une goutte d'anesthésiant topique type oxybuprocaïne.
Une conjonctivite bilatérale de début brutal, sans prurit, associant sécrétions mucopurulentes, rougeur conjonctivale diffuse, chémosis, œdème palpébral, est évocatrice de conjonctivites bactériennes (fig. 4-2-12). L'évolution est rapide sur quelques jours. La présence de facteurs de gravité, tels une immunodépression, un échec thérapeutique, une complication cornéenne, un patient monophtalme, conduit à réaliser des prélèvements bactériologiques à l'écouvillon au niveau du cul-de-sac conjonctival avant toute instauration d'antibiothérapie locale, et permet d'adapter le traitement. Il est à noter le cas particulier des conjonctivites récidivantes chez des nourrissons présentant par ailleurs un larmoiement chronique qui doit faire éliminer une pathologie des voies lacrymales (imperforation du canal lacrymonasal).
Une conjonctivite folliculaire unilatérale associée à une kératite superficielle avec présence de petits infiltrats épithéliaux et sous-épithéliaux gris-blanc en périphérie cornéenne formant un pannus cornéen est évocateur de conjonctivite à Chlamydia trachomatis (ou conjonctivite à inclusion). On recherche à l'interrogatoire un antécédent d'infection sexuellement transmissible, des signes extra-oculaires associés, à type d'urétrite et/ou cervicite, chez le patient et son partenaire. Un frottis, ou grattage, conjonctival devra être réalisé aux urgences pour rechercher cette bactérie par polymerase chain reaction (PCR).
Un tableau clinique associant une rougeur diffuse unilatérale, un larmoiement important, des sécrétions claires, un chémosis, une adénopathie prétragienne est évocateur de conjonctivites virales. L'atteinte peut être bilatérale, mais à la différence des conjonctivites bactériennes, elle ne l'est pas d'emblée. Elle est initialement asymétrique. L'examen en lampe à fente peut retrouver des follicules (exsudations localisées translucides, séparées les unes des autres, saillantes sous l'épithélium conjonctival) prédominant au niveau du cul-de-sac conjonctival inférieur ainsi que des pétéchies hémorragiques, le plus souvent localisées sous la paupière supérieure. De nombreux virus peuvent être responsables de conjonctivites. Devant toute suspicion de conjonctivite infectieuse, particulièrement virale, le port de gants pour l'examen clinique et une désinfection de la lampe à fente après l'examen s'imposent.
Une conjonctivite folliculaire dans un contexte épidémique, une infection récente du tractus respiratoire, une fièvre ou des troubles des gastro-intestinaux sont évocateurs de conjonctivite à adénovirus, principale cause de conjonctivite virale. Dans les formes sévères, des pseudo-membranes peuvent se former dans les culs-de-sac (fig. 4-2-13). En cas de photophobie majeure, il faut suspecter une atteinte cornéenne associée qui peut compliquer l'évolution de ce type de conjonctivite. L'instillation d'une goutte de fluorescéine dans le cul-de-sac conjonctival inférieur doit être systématique. Très contagieuses, elles nécessitent la mise en place de règles d'hygiène et d'éviction afin d'éviter la propagation de l'épidémie.
(Source : Dr J. Knoeri.)
Une conjonctivite folliculaire unilatérale, associée à une éruption vésiculaire et un érythème périlésionnel de la peau des paupières, est évocatrice de conjonctivite herpétique. L'examen peut mettre en évidence de petites zones d'ulcérations conjonctivales au niveau du tarse supérieur, près du bord libre palpébral. Devant ce tableau, une atteinte cornéenne associée doit être recherchée.
Une conjonctivite folliculaire associée à des lésions cutanées, proches du bord libre palpébral, à type de surélévation épidermique à centre ombiliqué, uniques ou multiples, de 3 à 5 mm de diamètre, évoque un molluscum contagiosum.
Une conjonctivite bilatérale associée à un prurit, une photophobie, un chémosis, un œdème palpébral, évoluant de manière chronique ou par poussée oriente vers une conjonctivite allergique. Le prurit est un signe très évocateur de ce groupe de pathologies. L'interrogatoire recherche un terrain atopique souvent associé (eczéma, asthme, rhinite), une allergie connue (aux pollens, poils d'animaux, acariens) et une recrudescence saisonnière. L'examen en lampe en fente peut retrouver de volumineuses papilles (hyperplasie tissulaire centrée sur un axe vasculaire), prédominant au niveau de la conjonctive tarsale supérieure. Des signes ORL ou bronchiques concomitants sont fréquemment associés. Ce tableau peut faire évoquer une intolérance aux lentilles de contact chez un porteur de lentilles souples. Chez l'enfant, un tableau de conjonctivite allergique associé, à l'examen clinique, à des papilles géantes de plus de 1 mm sous la paupière supérieure ou à des grains de Trantas (bourrelet gélatineux au limbe) est évocateur de kératoconjonctivite vernale (fig. 4-2-14). Les papilles peuvent réaliser un véritable pavage et être responsables d'un pseudo-ptosis. Cette forme peut être très invalidante et doit faire rechercher une complication cornéenne, notamment la présence d'ulcère cornéen.
Une aire conjonctivale rouge vif totale, sans autres symptômes oculaires, fait évoquer une hémorragie sous-conjonctivale totale. Ce décollement hématique de la conjonctive bulbaire peut être sectoriel ou s'étendre à toute la conjonctive, notamment en cas de prise de traitement antiagrégant plaquettaire ou anticoagulant, et de manœuvre de Valsalva. Il est important de rechercher le caractère spontané ou post-traumatique de cette hémorragie, afin de ne pas passer à côté d'une plaie du globe. En cas de récidive, il faut éliminer une hypertension artérielle ou un trouble de la crase sanguine.
Un œil rouge isolé sans douleur ni autres signes fonctionnels associés apparaissant sous la forme d'un saignement localisé, en nappe, sous la conjonctive bulbaire est une hémorragie sous-conjonctivale sectorielle (fig. 4-2-15).
La symptomatologie habituelle est rapportée dans le tableau 4-2-3 . Un tableau composé d'une hyperhémie conjonctivale diffuse ou localisée, couleur rose saumon, associée à une douleur modérée oriente vers une épisclérite (fig. 4-2-16). L'inflammation siège au niveau de l'épisclère, située entre la conjonctive et la sclère. L'examen en lampe à fente retrouve une dilatation des vaisseaux épiscléraux superficiels mobiles sur le plan profond, la mobilisation étant réalisée par l'instillation d'une goutte d'anesthésiant local à l'aide d'un bâtonnet ou par le bord libre de la paupière inférieure. L'épisclérite est dite simple, si la rougeur est localisée en secteur, ou diffuse ou nodulaire si elle est centrée par un nodule. Le test à la néosynéphrine 10 % permet de faire le diagnostic positif. L'instillation de ce collyre dans le cul-de-sac conjonctival inférieur a un effet vasoconstricteur sur les vaisseaux conjonctivaux et épiscléraux superficiels, faisant disparaître l'hyperhémie conjonctivale en quelques minutes. En cas de récidives fréquentes ou de formes résistantes, un bilan étiologique à la recherche d'une cause générale devra être réalisé, même si cette affection bénigne est le plus souvent idiopathique.
Symptômes | Contextes | Signes physiques orientant |
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Un œil rouge vif, associé à une douleur insomniante, majorée à la mobilisation du globe oculaire est évocateur en premier lieu de sclérite antérieure. Dans ce cas, l'inflammation siège au niveau de la partie antérieure de la sclère. Le test à la néosynéphrine 10 % est négatif, l'hyperhémie étant due à une dilatation des vaisseaux épiscléraux profonds (immobiles sur les plans profonds). La rougeur est le plus fréquemment diffuse. Elle peut être centrée sur un ou plusieurs nodules. En cas sclérite nodulaire (fig. 4-2-17), contrairement à l'épisclérite, le nodule n'est pas mobile par rapport aux plans profonds. Une altération visuelle variable peut être associée. L'examen en lampe à fente peut retrouver un aspect noir en cas de nécrose sclérale (choroïde exposée), des zones grisâtres ou bleutées témoignant d'épisodes récurrents. Le reste de l'examen du segment antérieur reste le plus souvent sans particularités, notamment sans présence d'un Tyndall (inflammation de chambre antérieure) ou de lésion cornéenne. Une sclérite postérieure, atteinte de la sclère en arrière de l'ora serrata, peut être isolée ou associée à une sclérite antérieure. En cas de sclérite postérieure isolée, le diagnostic est souvent complexe, lié à la variété des tableaux cliniques. Elle est suspectée devant un œil blanc douloureux à type de douleur insomniante, majorée à la mobilisation du globe oculaire, associée à une altération visuelle. Ce tableau clinique nécessite la réalisation d'un fond d'œil après dilatation pupillaire qui retrouve des atteintes rétiniennes et choroïdiennes variées (décollement de rétine exsudatif, œdème papillaire, plis rétinochoroïdiens, etc.). Le diagnostic positif sera aidé par des examens complémentaires d'imagerie (OCT, échographie orbitaire en mode B, scanner ou IRM orbitaire). Le patient est alors orienté vers une consultation spécialisée afin d'adapter au mieux le traitement général et d'entreprendre le bilan étiologique, une cause générale étant retrouvée dans plus de 50 % des cas selon la forme de sclérite (granulomatose de Wegener, vascularite, tuberculose, etc.).
La douleur d'un œil inflammatoire a généralement pour origine la cornée (ulcération, œdème, infiltrat infectieux ou non) ou le corps ciliaire (inflammation, infection, infiltration, hypertonie). L'anomalie visuelle est la conséquence d'une altération optique des milieux, par perte de régularité ou infiltrat (inflammatoire, infectieux, hémorragique, etc.), ou d'une contraction du muscle ciliaire (asténopie accommodative aiguë ou crampe accommodative).
Là aussi, l'orientation diagnostique est fondée sur la combinaison entre symptômes, contexte et signes physiques spécifiques (tableau 4-2-4).
Symptômes | Contextes | Signes physiques orientant |
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Un œil rouge douloureux, associé à une photophobie, une sensation de corps étranger et un blépharospasme évoque une kératite. Toute lésion cornéenne donne en effet ce tableau assez bruyant, dès que l'épithélium cornéen est touché. Les douleurs sont d'autant plus intenses que les lésions présentes exposent les terminaisons nerveuses. Une anomalie visuelle est présente en cas d'œdème cornéen (perte de la transparence cornéenne) ou de lésion située dans l'axe visuel. L'intégrité de l'épithélium cornéen se teste après instillation d'une goutte de fluorescéine dans le cul-de-sac conjonctival inférieur et examen en lumière bleue. Les caractéristiques de la lésion cornéenne (taille, nombre, localisation, forme) orientent le diagnostic étiologique. D'autres caractéristiques cliniques, détaillées ci-après, aident à identifier la cause de la kératite.
La présence de nombreux défects microponctués, situés au niveau des couches antérieures de la cornée (épithélium, couche de Bowman), visibles sans colorant, définit la kératite ponctuée superficielle (KPS). L'examen en lampe à fente retrouve une irrégularité et un aspect en verre dépoli de la surface cornéenne. Ce type de kératite constitue une atteinte non spécifique de la cornée et les causes en sont nombreuses. L'interrogatoire est alors réorienté après les premières constatations cliniques et recherche notamment une exposition à des rayons ultraviolets, des produits toxiques, la projection d'un corps étranger, le port de lentilles de contact. La topographie de la KPS et l'analyse de l'ensemble de la surface oculaire sont des éléments majeurs permettant le diagnostic étiologique (fig. 4-2-19). Devant une KPS, il convient d'éverser la paupière supérieure, analyser la qualité du clignement palpébral, examiner la conjonctive, les culs-de-sac inférieurs, les paupières, tester la sensibilité cornéenne et rechercher une sécheresse oculaire associée (temps de rupture du film lacrymal ou break-up time ).
Une KPS localisée dans la partie supérieure, verticale, multilinéaire, est en faveur d'un corps étranger superficiel (fig. 4-2-20), le plus souvent situé sous la paupière supérieure. Il est utile alors d'éverser cette dernière afin de l'identifier et de le retirer (voir vidéo 4-1-1). Le cul-de-sac conjonctival inférieur est également exploré. L'orientation anormale d'un ou de plusieurs cils dystrichiasiques peut entraîner une irritation de la surface oculaire relativement similaire et aboutir à une lésion cornéenne par frottement.
Si la kératite est plutôt érosive, récurrente, débutant la nuit ou au petit matin, chez un patient ayant un antécédent de traumatisme, on évoque une kératalgie récidivante. On recherche une anomalie épithéliale associée, par exemple microvésiculaire (dystrophie cornéenne de Meesmann) ou microkystique (épithéliopathie microkystique de Cogan). Une KPS associée à des infiltrats sous-épithéliaux (fig. 4-2-21), des douleurs paraissant disproportionnées par rapport à l'atteinte cornéenne visible à l'examen, chez un patient porteur de lentilles avec défaut d'hygiène ou aux antécédents de traumatisme cornéen, est évocatrice de kératite amibienne. Ce type d'atteinte cornéenne se retrouve dans les formes précoces de la maladie. Dans le tableau typique, cette atteinte épithéliale est associée à une kératonévrite radiaire.
Une KPS diffuse et lâche, associée à une hypoesthésie cornéenne, chez un patient aux antécédents de primo-infection ou récurrence (orale, labiale, génitale, oculaire) des virus du groupe herpès, doit faire évoquer le diagnostic de kératite herpétique ( herpes simplex virus 1 et 2). Cette forme s'observe au début de l'infection. Devant ce tableau, l'interrogatoire recherche un facteur déclenchant (exposition solaire, stress, fièvre aiguë, chirurgie oculaire récente, menstruations, traumatisme, etc.). Si le tableau cornéen est associé à une éruption cutanée unilatérale dans le territoire du nerf trijumeau (branche V1 : ophtalmique), au niveau du bout et de l'aile du nez notamment, une kératite zostérienne aiguë dans le cadre d'un zona ophtalmique (fig. 4-2-22) avec atteinte cornéenne est le plus probable. Les douleurs de kératite zostérienne sont plus importantes que les douleurs herpétiques. Ce tableau se retrouve chez des patients de plus de 50 ans, immuno-déprimé ou dans les suites d'un traumatisme ou d'un stress, avec un antécédent de varicelle.
Une KPS diffuse, située dans l'aire interpalpébrale, responsable de douleurs brutales intenses, apparaissant par exemple dans les suites d'une exposition solaire à la neige (ophtalmie des neiges) ou à un fer à souder sans protection, évoque une kératite aux rayonnements ultraviolets.
Une KPS diffuse dans l'aire interpalpébrale ou au niveau du tiers inférieur de la cornée associée à une blépharite antérieure (hyperhémie antérieure du bord libre, épaississement inflammatoire du bord des paupières, présence de dépôts squameux à la base des cils) ou postérieure (obstruction des glandes de Meibomius avec expression de meibum épaissi, télangiectasies des paupières évocatrices de rosacée oculaire, sécrétions mousseuses) est évocatrice d'une kératoconjonctivite sèche (fig. 4-2-23) [9]. L'interrogatoire fait rechercher les facteurs aggravants tels le travail sur écran d'ordinateur, le tabagisme, l'air conditionné ou encore les modifications hormonales. L'examen évalue alors la qualité du clignement palpébral, les ménisques lacrymaux, le temps de rupture du film lacrymal qui est typiquement inférieur à 10 secondes. En cas de syndrome sec sévère, la symptomatologie est bilatérale, chronique. Le patient consulte en urgence quand il y a association d'un œil rouge douloureux, d'une sensation de corps étranger, d'une brÛlure et d'un larmoiement invalidant. Il décrit souvent une lacrymation réflexe au vent, au froid ou lors de lecture prolongée. La KPS est plus diffuse. Ces kératoconjonctivites sèches peuvent être liées à une pathologie systémique (collagénose : syndrome de Gougerot-Sjögren, polyarthrite rhumatoïde, etc.), une cause médicamenteuse (antidépresseur, anxiolytiques, bêta-bloquants, etc.) ou à une dysfonction des glandes meïbomiennes.
La prise en charge urgente se focalise sur la protection cornéenne et l'orientation du patient.
Une KPS centrale s'étendant en moyenne périphérie, survenant 7 à 10 jours après une conjonctivite, dans un contexte épidémique, évoque une kératoconjonctivite à adénovirus. On peut parfois palper une adénopathie prétragienne. L'examen biomicroscopique peut mettre en évidence des infiltrats sous-épithéliaux.
Une KPS centrale, bilatérale chez un sujet jeune, sans signes conjonctivaux, peu symptomatique, associée à des opacités intra-épithéliales ovales ou stellaires bien délimitées, blanc grisâtre évoque en priorité une kératite de Thygeson [10]. L'interrogatoire recherche des épisodes antérieurs et une sensibilité forte de la kératite aux corticoïdes locaux.
Une KPS chez un porteur de lentilles peut avoir plusieurs origines. Elle peut être liée à des complications contactologiques mécaniques et inflammatoires. Devant toute KPS, et de manière plus générale devant tout œil rouge, le port de lentilles de contact est recherché activement de principe, même si le plus souvent les patients le précisent dès l'interrogatoire.
Une KPS diffuse peut compliquer une conjonctivite allergique, virale ou bactérienne. Au tableau spécifique à chaque conjonctivite, s'ajoutent alors une douleur et une altération visuelle variables selon la topographie et la profondeur des lésions.
Une KPS localisée au niveau du tiers inférieur de la cornée fait préciser à l'interrogatoire la prise régulière de collyres, induisant des kératites toxiques, liées le plus souvent à la présence de conservateurs (chlorure de benzalkonium : ammonium quaternaire). Les principales classes de collyres en cause sont les anti-inflammatoires (corticoïdes et non stéroïdiens), les antibiotiques (aminosides, collyres renforcés), les antiviraux, les anesthésiques de contact (oxybuprocaïne, tétracaïne) et les antiglaucomateux.
Une KPS localisée au niveau du tiers inférieur de la cornée est parfois associée à une occlusion palpébrale incomplète et/ou à un syndrome d'apnée du sommeil obstructif (SASO). Elle évoque alors une kératite d'exposition nocturne. Une kératite filamenteuse, constituée de fins filaments d'épithélium cornéen et de mucus attachés à la surface cornéenne et rehaussés par la fluorescéine, peut être associée. Une insuffisance de clignement palpébral peut être responsable d'une kératite neuroparalytique lorsqu'il existe une atteinte associée nerveuse périphérique (diabète, herpès ou postzostérien, neurinome du VIII, chirurgie du V) ou centrale (sclérose en plaques, tumeur de la fosse postérieure, accident vasculaire cérébral (AVC) du tronc cérébral). L'examen clinique explore la sensibilité cornéenne. L'atteinte neurologique se caractérise par une hypoesthésie ou anesthésie cornéenne complète. L'examen recherche une malocclusion/malposition palpébrale possible dans les suites d'une paralysie faciale (lagophtalmie), un trouble de la statique palpébrale (entropion, ectropion, chirurgie palpébrale, etc.), une exophtalmie (orbitopathie dysthyroïdienne).
Bilatérale, chronique, évoluant par poussées entrecoupées de rémission, associée à une inflammation bilatérale de la conjonctive bulbaire supérieure périlimbique, cette kératite se retrouve dans les kératoconjonctivites limbiques supérieures de Théodore. Une kératite filamenteuse et un syndrome sec sont fréquemment identifiés à l'examen clinique. Le tableau se retrouve classiquement chez des femmes d'âge moyen, présentant une dysthyroïdie.
Cette kératite est généralement d'origine mécanique. Elle peut être liée à un ptérygion, une pinguécula, le port de lentilles de contact, une insuffisance en cellules souches limbiques, une tumeur du limbe ou de la cornée.
Une kératite peut se manifester sous la forme d'une lacération lamellaire cornéenne ou ulcération. La symptomatologie est celle d'une atteinte cornéenne associant une douleur avec larmoiement et blépharospasme, une rougeur périkératique et un voile visuel. La lésion, se colorant après instillation de fluorescéine, peut être épithéliale et/ou stromale. Selon sa topographie et sa profondeur, elle s'accompagne d'une altération visuelle plus ou moins profonde. L'examen en lampe à fente observe la profondeur de l'ulcération (épithéliale, stromale, descemétocèle), ses dimensions, sa topographie par rapport à l'axe visuel, la présence d'une réaction inflammatoire de chambre antérieure. Les berges et le fond de l'ulcère sont examinés à la recherche de signes d'infection. L'examen en lampe à fente peut objectiver un signe de Seidel positif (fuite d'humeur aqueuse visible en lumière bleue, lavant la fluorescéine instillée), une athalamie (chambre antérieure plate), voire une incarcération irienne en cas d'ulcération perforée, c'est-à-dire de toute l'épaisseur de la cornée.
Les causes d'ulcères cornéens sont nombreuses. La plupart des ulcérations cornéennes sont traumatiques et ne posent pas de problème diagnostique, le patient consultant pour ce motif. Elles sont principalement dues à des corps étrangers superficiels (cornéens, sous-palpébraux). L'interrogatoire oriente le diagnostic étiologique. Une notion de traumatisme, de projection de corps étrangers, de port de lentilles de contact, une chirurgie récente, une exposition à des radiations, une brÛlure, une prise de collyres toxiques orientent vers une cause mécanique.
La plupart des étiologies de KPS peuvent donner une ulcération cornéenne. La présence d'une ulcération cornéenne doit donc faire rechercher des signes cliniques associés évoquant un syndrome sec, une malocclusion ou malposition palpébrale, une anesthésie cornéenne (kératite neurotrophique). Il convient de ne pas confondre un ulcère, pour lequel l'épithélium est absent, avec un effet dellen (amincissement de cornée paralimbique adjacent à une lésion conjonctivale surélevée type pinguécula, chémosis, ptérygion, etc.). Pour ce dernier, l'épithélium est respecté et la lésion est par conséquent fluo-négative (le lac de fluorescéine instillée qui s'accumule dans la zone amincie n'est plus fluorescent après lavage au sérum physiologique).
L'analyse de la cornée controlatérale ou une fois l'ulcère cicatrisé est utile. Elle peut déceler une dystrophie cornéenne préexistante expliquant la survenue de l'ulcère.
Une kératite ulcérante unilatérale associée à une perte globale de la sensibilité cornéenne oriente volontiers vers une kératite infectieuse herpétique [11]. La notion d'antécédent d'herpès oculaire à l'interrogatoire et la présence d'atrophie irienne (transillumination hétérogène géographique), témoin de poussées antérieures, appuient ce diagnostic. L'interrogatoire recherche un antécédent de primo-infection herpétique orale, labiale, oculaire ou génitale, liée soit à herpes simplex virus (HSV) 1, le plus souvent, soit à HSV-2. Un facteur déclenchant de type stress, exposition solaire, immunodépression, traumatisme ou chirurgie oculaire est en faveur d'une étiologie herpétique. Les kératites herpétiques peuvent revêtir un nombre varié de présentations cliniques et toucher toutes les couches cornéennes (voir chapitre 5.2.1 ). Par exemple, le diagnostic de kératite herpétique est suspecté devant :
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une kératite unilatérale montrant une ulcération linéaire arborée ou dendritique (fig. 4-2-24) avec extrémités renflées, des bords décollés, soulevés mais bien limités. L'aspect en arbre mort après instillation de fluorescéine est la forme la plus évocatrice [12] ;
Fig. 4-2-24 Ulcération linéaire arborée ou dendritique.
(Source : Dr S. Dupont-Monod.) - –
une vaste zone d'ulcération épithéliale en « feu de brous-saille » ou kératite géographique avec bords irréguliers, soulevés ou dendritiques ;
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un infiltrat stromal diffus ou localisé, unique ou multiple, sans nécrose, associé à des néovaisseaux cornéens orientant vers une kératite stromale herpétique ;
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une infiltration blanc jaunâtre dense, associée à des précipités rétrocornéens et un Tyndall, évoquant une kératite herpétique stromale kératolytique ;
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un œdème stromal, sans infiltrat cornéen, associé à des précipités rétrocornéens en regard de la plage d'œdème étant en faveur d'une endothélite herpétique [13].
En cas d'atteinte kératique atypique, un prélèvement cornéen pour analyse microbiologique et virologique peut être réalisé. La technique de prélèvement de référence est le grattage cornéen de la base et des berges de l'ulcère (encadré 4-2-1).
Encadré 4-2-1
L’ophtalmologiste, muni de gants stériles sans talc, utilise un kit de prélèvement standardisé [14]. Les prélèvements sont réalisés après instillation d’un anesthésiant topique sans conservateur et dans un ordre précis. En premier, un écouvillon avec ensemencement sur milieu de Sabouraud sans inhibiteur permet l’analyse mycologique. Un premier prélèvement est fait sur une lame porte-objet pour examen direct suivi de l’ensemencement de milieux de culture utilisés pour la recherche de bactéries (gélose chocolat Polyvitex®, milieu Portagerm®, milieu PGY, selon les centres) [15]. Puis, pour la recherche d’amibes, on utilise une lame de bistouri 15 T inoxydable pour étalement fin sur lame porte-objet pour examen direct et polymerase chain reaction (PCR) sans acide désoxyribonucléique (ADN) ni acide ribonucléique (ARN). Enfin, un grattage cornéen à l’aide d’une éponge triangulaire stérile pour PCR permet l’analyse virologique. Il est possible pour certains laboratoires d’effectuer l’analyse PCR métagénomique qui identifie les bactéries [16]. L’ensemble des prélèvements est ensuite apporté immédiatement au laboratoire. Ces analyses sont réalisées en milieu hospitalier. Si un patient vu en consultation d’urgence en libéral présente un ulcère nécessitant un prélèvement cornéen, il devra être adressé à l’hôpital pour suite de la prise en charge. Elles sont en effet au mieux réalisées avant tout traitement antibiotique ou après une fenêtre thérapeutique de 48 heures.
Une kératite pseudo-dendritique caractérisée par des dendrites de petite taille, peu ramifiées, accrochant de manière irrégulière la fluorescéine, et associée à des plaques épithéliales, une hypoesthésie cornéenne, chez un patient de plus de 50 ans, oriente vers une kératite zostérienne, liée au virus zona-varicelle (VZV). On recherche alors une éruption ou des cicatrices cutanées dans le territoire du nerf trijumeau.
Une kératite pseudo-dendritique unilatérale ou des inclusions intra-épithéliales inconstamment fluo-positives chez un porteur de lentilles de contact avec défaut d'hygiène évoquent en premier lieu une kératite amibienne précoce. Le principal diagnostic différentiel est la kératite herpétique, source de retard diagnostique. Ce type de lésion cornéenne doit faire réaliser aux urgences un grattage cornéen pour permettre le diagnostic de kératite amibienne dont la précocité conditionne le pronostic.
Si l'examen en lampe à fente retrouve un ulcère dont le fond n'est pas translucide, un infiltrat cornéen localisé (abcès) ou diffus (fig. 4-2-25), un Tyndall voire un hypopion, on évoque un abcès de cornée ou une kératite infectieuse. Une douleur d'apparition rapide, souvent insomniante, un œdème palpébral plus ou moins associé à la présence de sécrétions sont les symptômes habituels. L'interrogatoire enquête sur une cause favorisante comme le port de lentilles de contact, un traumatisme notamment par corps étranger souillé ou végétal, une chirurgie cornéenne récente ou une immunodépression (diabète). L'examen biomicroscopique recherche une cause locale favorisante telle qu'un syndrome sec sévère, un trouble de la statique palpébrale, une pathologie cornéenne chronique sous-jacente. Il quantifie la sévérité des lésions cornéennes et précise par un schéma leur localisation, leurs dimensions (verticale et horizontale en millimètres), leur forme et leur nombre. La prise en charge initiale aux urgences documente l'atteinte cornéenne, afin d'analyser l'évolution ultérieure sous traitement. La réalisation initiale d'imagerie est idéale pour le suivi d'aval (photographies, OCT). Les abcès de cornée peuvent être liés à tous les agents infectieux : viraux (virus du groupe herpès), bactériens, parasitaires (amibe) et champignons (voir chapitre 5.2.1 ).
Les critères de gravité locaux et généraux (tableau 4-2-5)imposent la réalisation de prélèvements par grattage cornéen dans un service spécialisé (encadré 4-2-1) et une prise en charge hospitalière [17]. Si le patient est porteur de lentilles de contact, une analyse des lentilles et du boîtier sera également réalisée. La plupart des kératites infectieuses peuvent être prises en charge en ambulatoire et suivies en cabinet de ville.
Critères de gravité locaux | Critères de gravité généraux |
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Toute suspicion de kératite amibienne ou fongique impose un grattage cornéen aux urgences pour analyse microbiologique.
Des infiltrats stromaux périphériques multiples, de moins de 1 mm, d'évolution subaiguë associés à une blépharoconjonctivite responsable de sensation de corps étranger plus que de vraies douleurs orientent vers des infiltrats stériles périphériques. Ce tableau se retrouve chez des patients porteurs de lentilles avec signes locaux de mauvaise tolérance.
Si l'ulcère est creusant et marginal, notamment en cas de kératolyse périphérique ulcérante, une cause dysimmunitaire est la plus probable (ulcère de Mooren, pseudo-ulcère de Mooren, collagénose, dégénérescence marginale de Terrien, conjonctivites fibrosantes, kératoconjonctivite vernale, etc.).
Si au tableau d'œil rouge et douloureux avec anomalie visuelle s'associe une réaction inflammatoire cellulaire (effet Tyndall : présence de cellules et/ou de protéines en suspension dans la chambre antérieure vue en lampe à fente) ou protéique ( flare : effet de diffraction optique d'une source lumineuse ponctuelle) de chambre antérieure, le diagnostic le plus probable est celui d'uvéite antérieure ou iridocyclite. Il s'agit d'une inflammation de l'uvée antérieure comprenant l'iris et le corps ciliaire. Cette inflammation de chambre antérieure est souvent associée à des précipités rétrocornéens (PRC) ou à des lésions iriennes (granulomes, synéchies, atrophie), éléments majeurs d'orientation étiologique. Le segment antérieur peut apparaître trouble rendant difficile la visualisation des détails de l'iris. L'examen bilatéral comparatif élimine les diagnostics différentiels pseudo-uvéitiques d'origine oculaire ou systémique telles certaines causes tumorales (rétinoblastome, leucémie, mélanome du corps ciliaire, etc.) ou non tumorales (endophtalmie, corps étranger intra-oculaire, Tyndall hématique, etc.). Une fois le diagnostic d'uvéite antérieur établi, il convient de rechercher à l'interrogatoire et à l'examen clinique tous les éléments accessibles dans le cadre de l'urgence permettant d'orienter le diagnostic étiologique. Les étiologies des uvéites sont nombreuses : elles sont détaillées dans au chapitre 5.2 ; le lecteur peut également consulter le rapport 2010 de la Société française d'ophtalmologie consacré aux uvéites [18].
L'interrogatoire est orienté par l'examen clinique qui en fonction des caractéristiques de l'uvéite permet de suspecter une ou plusieurs étiologies. Il fait notamment préciser les antécédents médicaux notamment ophtalmologiques (herpès), infectieux, la notion de voyage récent, une piqÛre de tique, un contact avec des animaux, un comportement sexuel à risque, les traitements en cours. Le terrain, l'origine ethnique et l'âge du patient sont également des paramètres importants. Des signes extra-oculaires peuvent être associés, tels que des atteintes :
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cutanée (vésicules : uvéite herpétique, érythème migrans ; piqÛre de tique : maladie de Lyme ; chancre : syphilis, etc.) ;
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neurologique (méningite : neuro-Behçet, syphilis, sclérose en plaques, etc.) ;
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pneumologique (dyspnée : tuberculose, sarcoïdose, etc.) ;
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rhumatologique (douleurs articulaires inflammatoires : spondylarthrite, etc.) ;
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urinaire et digestive (maladie de Crohn, etc.).
L'examen en lampe à fente doit analyser toutes les structures oculaires, la présence de certains signes cliniques ayant une orientation étiologique. L'analyse de la cornée recherche la présence de PRC et précise leur type, leur taille, leur localisation et leur couleur. Si les PRC sont fins, l'uvéite sera classée dans la catégorie non granulomateuse. À l'inverse, s'ils ont un aspect en graisse de mouton, l'uvéite sera dite granulomateuse. La localisation de ces PRC donne également une orientation sur le plan étiologique (fig. 4-2-26). Le Tyndall est également évalué et quantifié à la lampe à fente (encadré 4-2-2).
Encadré 4-2-2
On évalue l’effet Tyndall de chambre antérieure en projetant une fente lumineuse de 1 × 1 mm à 45°. Une cotation standardisée du Tyndall cellulaire, définie par les critères du Standardization of Uveitis Nomenclature (SUN), se fonde sur le nombre de cellules par millimètre cube. Le Tyndall sera coté à 1+ (5 à 10 cellules), 2+ (10 à 20 cellules), 3+ (20 à 50 cellules) ou 4+ (plus de 50 cellules) [19]. Le Tyndall protéique ou flare est plus difficile à analyser cliniquement, sa cotation dépend de la visibilité des détails de l’iris. En cas d’inflammation majeure, les cellules et protéines inflammatoires se déposent en bas de la chambre antérieure et constituent un hypopion, qui sera mesuré en millimètres.
(Source : Dr S. Dupont-Monod.)
La présence d'un hypopion doit faire rechercher en particulier une pseudo-uvéite liée à une pathologie tumorale ou une endophtalmie, et rend nécessaire la réalisation d'un fond d'œil dilaté bilatéral comparatif. En l'absence d'accessibilité au fond d'œil, une échographie oculaire en mode B est demandée.
L'analyse de l'iris avant dilatation pupillaire permet également d'apporter des éléments pour le diagnostic étiologique. La présence d'une atrophie sectorielle ou diffuse, d'une hétérochromie irienne, de nodules du bord pupillaire (Koeppe) ou du stroma irien (Busacca), de synéchies antérieures (entre l'iris et l'angle iridocornéen) ou postérieures (entre l'iris et la cristalloïde antérieure) oriente le diagnostic étiologique. Les synéchies peuvent aboutir à de vraies déformations pupillaires (pupille en trèfle), voire à une séclusion pupillaire (synéchies postérieures sur 360°). La mesure de la tension oculaire est un paramètre important pour la prise en charge thérapeutique et l'orientation étiologique.
L'atteinte peut être uni- ou bilatérale, l'inflammation peut intéresser uniquement le segment antérieur ou s'étendre aux autres segments de l'œil, d'où la nécessité de réaliser systématiquement un fond d'œil après dilatation pupillaire dans le cadre de l'urgence, afin d'évaluer l'uvéite dans son ensemble. L'utilisation de lentille grand champ type quadrasphérique permet de mieux visualiser un foyer choriorétinien en cas de hyalite et d'accéder à la périphérie rétinienne à la recherche de vascularites périphériques. La réalisation du fond d'œil permet également d'éliminer des causes de pseudo-uvéites telles qu'un rétinoblastome ou une hémorragie intravitréenne.
L'atteinte intermédiaire est caractérisée par la présence d'une hyalite – cellules inflammatoires prédominant dans le vitré antérieur – plus ou moins associée à des « œufs de fourmis » ( snowballs ) et/ou à une pars planite. Les patients se plaignent souvent d'une vision floue associée à des myodésopsies. L'examen du vitré après dilatation pupillaire maximale est essentiel au diagnostic positif d'une uvéite intermédiaire. Le vitré est inflammatoire, caractérisé par la présence d'une réaction cellulaire et d'un Tyndall protéique. Ce dernier, à l'origine d'un aspect trouble du vitré, est d'importance variable, souvent d'intensité minime ou modérée, plus rarement intense venant alors gêner l'examen de la rétine.
Une atteinte postérieure sous la forme d'une vascularite rétinienne (engrainement blanchâtre des vaisseaux réduisant plus ou moins la lumière des vaisseaux), d'une rétinite nécrosante ou non nécrosante, d'une choroïdite focale (toxoplasmose) ou multifocale est également possible. Les vascularites rétiniennes se retrouvent dans les uvéites intermédiaires (vascularites périphériques veineuses) et dans les uvéites postérieures (vascularite veineuse, artérielle ou mixte). Leurs caractéristiques (focale ou diffuse, type de vaisseaux atteint) ont une grande valeur étiologique.
Si l'atteinte concerne l'ensemble des segments de l'œil, il s'agit d'une panuvéite. Le plus important devant ce type de tableau est d'éliminer une cause infectieuse (endophtalmie), a fortiori s'il existe un antécédent de chirurgie oculaire.
La consultation d'urgence initiale recherche des critères de gravité, tels qu'une baisse d'acuité visuelle (< 5/10), une inflammation majeure du segment antérieur (membrane cyclitique, hypopion) ou du segment postérieur (vascularite, nécrose rétinienne, occlusion vasculaire, œdème maculaire, atteinte du nerf optique), une hypertonie oculaire, pour adapter la prise en charge thérapeutique. En dehors de ces uvéites graves, le bilan étiologique peut être réalisé dans un contexte externe décalé dans le temps. Le traitement ne nécessite pas d'être institutionnalisé et se contrôle en consultation d'aval. On distingue le cas particulier des uvéites liées à human leucocyte antigen (HLA) B27. Elles sont responsables d'inflammations majeures du segment antérieur mais qui peuvent être traitées en contexte externe (hors hospitalisation ambulatoire ou conventionnelle). Le bilan étiologique de première intention proposé devant un premier épisode d'uvéite antérieure aiguë est prescrit aux urgences. Il est ciblé sur les éléments d'orientation évocateurs. En l'absence d'éléments d'orientation, on prescrit un bilan systématique comprenant une radiographie thoracique, une numération formule sanguine, un typage HLA B27, une sérologie treponema pallidum hemagglutinations assay (TPHA)/ veneral disease research laboratory (VDRL), une intradermoréaction (IDR) à la tuberculine ou un test Quantiféron pour les patients déjà dermoréactifs (bacille de Calmette et Guérin ou BCG, tuberculose ancienne) [20]. Une fois le traitement symptomatique débuté, le patient est orienté vers une consultation ophtalmologique spécialisée et filiarisée en médecine interne, une collaboration multidisciplinaire étant nécessaire dans ce type de pathologie pour optimiser la prise en charge thérapeutique.
Dans le cadre d'une uvéite postérieure ou d'une panuvéite, la prise en charge est adaptée à l'étiologie suspectée. En cas de rétinite nécrosantes virales (acide ribonucléique [ARN], progressive retinal necrosis [PRN], rétinite à cytomégalovirus [CMV]) ou non virales (toxoplasmose avec facteur de gravité, syphilis, endophtalmie), une prise en charge s'organise sans délai, avec réalisation d'une ponction de chambre antérieure aux urgences si possible pour rechercher le pathogène responsable, avant de débuter immédiatement un traitement étiologique probabiliste par voie générale en hospitalisation.
Une évolution rapidement péjorative dans un contexte postopératoire vers un œil rouge douloureux avec anomalie visuelle et inflammation de chambre antérieure est considérée comme une endophtalmie jusqu'à preuve du contraire (fig. 4-2-27). Il s'agit d'une urgence ophtalmologique absolue (voir chapitre 5.2.1 ). Cette infection endoculaire grave met en jeu le pronostic visuel et anatomique en cas de retard de prise en charge. L'interrogatoire retrouve une chirurgie oculaire à globe ouvert récente (cataracte, trabéculectomie, etc.), un antécédent de traumatisme perforant avec ou sans corps étranger intra-oculaire, un abcès de cornée. Le tableau clinique est souvent bruyant, associant une douleur insomniante résistant aux antalgiques. La douleur est un signe clinique pivot des endophtalmies aiguës évoluant depuis moins de 8 jours mais peut être inconstante voire absente dans les endophtalmies subaiguës (1 à 4 semaines d'évolution) ou chroniques (> 4 semaines). En effet, aucun symptôme n'est pathognomonique ni systématique [21].
L’examen du segment antérieur retrouve un Tyndall inflammatoire important, voire une membrane cyclitique, un hypopion ou des synéchies iriennes. À l’inflammation de chambre antérieure peuvent s’associer un oedème palpébral, un chémosis, des sécrétions purulentes. L’inflammation touche également le segment postérieur rendant obligatoire la réalisation d’un fond d’oeil afin de rechercher une hyalite, voire des hémorragies rétiniennes et des périphlébites, présentes principalement en cas d’endophtalmie subaiguë ou chronique. En cas d’inaccessibilité au fond d’oeil, une échographie en mode B est réalisée afin de mettre en évidence l’inflammation vitréenne. Un oeil rouge douloureux, larmoyant chez un patient opéré de chirurgie filtrante, doit faire rechercher une infection isolée de la bulle de filtration ou blébite [22]. La bulle contient un liquide grisâtre voire purulent et est souvent le siège d’une fuite. Cette affection est une endophtalmie.
(Source : Dr J. Knoeri.)
En cas de suspicion d'endophtalmie, une séquence stéréotypée de prise en charge est enclenchée. Au mieux, elle fait l'objet d'un protocole de soins accessible à tous les acteurs de la prise en charge . Si le patient est vu en cabinet de ville ou dans une structure de soins ne permettant pas une prise en charge adaptée et une hospitalisation, le patient devra être transféré en urgence vers l'hôpital le plus proche. Dès que le patient se trouve dans une structure adaptée, il est utile d'observer les éléments suivants qui figureront au dossier médical : acuité visuelle de départ, importance de la réaction de chambre antérieure avec notamment une mesure en millimètres de la hauteur de l'hypopion, présence d'une membrane cyclitique. La séquence de soins enchaîne initialement une ponction de chambre antérieure (PCA) pour analyse microbiologique puis une injection intravitréenne (IVT) d'antibiotiques. Sa précocité conditionne le pronostic. Ce geste se pratique dans une salle répondant aux recommandations de la Haute autorité de santé (HAS) et ayant fait l'objet d'un consensus en 2009, en hôpital, en clinique ou au sein d'un cabinet médical [23]. La PCA n'est pas pratiquée en cas d'abcès de cornée ou d'infection sur une suture compliqués d'endophtalmie, car elle potentialise la pénétration intra-oculaire de l'agent pathogène. On préfère alors un prélèvement de surface par grattage cornéen aux urgences.
Un œil rouge douloureux avec anomalie visuelle doit faire prendre la pression intra-oculaire de manière systématique à chaque fois que cela est possible (voir chapitre 5.2.3 ). En cas d'altération de la surface oculaire, de larmoiement intense ou de blépharospasme, l'évaluation bidigitale comparative aide.
Devant une hypertonie, l'observation en lampe à fente analyse spécifiquement la profondeur de chambre antérieure des deux yeux, la transparence de la cornée, l'angle iridocornéen par gonioscopie, la présence de signes inflammatoires dans la chambre antérieure. Ces éléments orientent le diagnostic étiologique. La gonioscopie peut être difficile à réaliser en cas d'œdème cornéen lié à l'hypertonie oculaire aiguë. La gonioscopie de l'œil controlatéral renseigne alors.
Si l'examen biomicroscopique retrouve une chambre étroite ou plate du côté atteint, une chambre étroite du côté adelphe, une semi-mydriase aréflexique, un angle fermé ou étroit en gonioscopie, le diagnostic le plus probable est une crise aiguë de fermeture de l'angle iridocornéen. La crise aiguë par fermeture de l'angle est une urgence médicale. Le pronostic fonctionnel est engagé du fait du risque d'ischémie du nerf optique. L'œdème cornéen, souvent majeur, rend compte du caractère aigu de l'hypertonie et gêne fréquemment la réalisation de la gonioscopie. L'utilisation d'un collyre à base de glycérine peut permettre de diminuer la buée épithéliale et d'améliorer la visibilité du segment antérieur. Le fond d'œil s'il est visible peut montrer un pouls artériel spontané. La racine de l'iris est le plus souvent accolée à la face postérieure du limbe, traduisant la fermeture de l'angle. La douleur oculaire est souvent majeure. Elle traduit l'importance de l'hypertonie oculaire (> 50 mmHg). Elle est péri-oculaire, unilatérale et peut irradier dans le territoire du nerf trijumeau et en arrière dans la région orbitaire. Des signes végétatifs digestifs à type de nausées, de vomissements et de sueurs profuses, par l'intermédiaire des réflexes oculogastriques et oculocardiaques, peuvent également être associés. Ils ne doivent pas faire retarder le diagnostic. Le mécanisme de fermeture de l'angle est le plus souvent lié à un blocage pupillaire (accolement de la face postérieure de l'iris au bord antérieur du cristallin), qui se complique d'un blocage prétrabéculaire (accolement de la racine de l'iris au trabéculum et à l'anneau de Schwalbe). Cette hypertonie oculaire aiguë est le plus fréquemment rencontrée chez des patients prédisposés (antécédents familiaux, hypermétropie, chambre antérieure étroite, sujets âgés, femme) [24]. Il faut rechercher à l'interrogatoire des facteurs favorisants ayant entraîné une mydriase : anesthésie générale, passage à l'obscurité, prise de médicaments parasympatholytiques (antispasmodiques, anticholinergiques, antidépresseurs tricycliques, etc.) ou sympathomimétiques alpha (bronchodilatateurs, antiparkinsoniens, inhibiteurs de la monoamine-oxydase [IMAO], etc.) [25].
Le traitement est tout d’abord médical. Il abaisse la pression intra-oculaire et diminue les symptômes fonctionnels pour permettre la réalisation d’une iridotomie au laser. Une fois la pression intra-oculaire diminuée, la cornée s’éclaircit, rendant possible la gonioscopie de l’oeil atteint. Si l’angle iridocornéen se réouvreet qu’il n’existe pas de synéchies antérieures périphériques étendues (gonioscopie dynamique), une iridotomie périphérique au laser yttrium aluminium garnet (YAG) ou argon/YAG est réalisée en urgence sur l’oeil pathologique. Elle sera également pratiquée à titre préventif sur l’oeil adelphe au cours de la même séance (ou dans un deuxième temps, car souvent le patient est hyperalgique, stressé, présente une baisse d’acuité visuelle, etc.)
Si le tableau associe un œdème cornéen par atteinte endothéliale, des synéchies périphériques antérieures et des anomalies du stroma irien (atrophie, trous et nodules iriens) on évoquera un syndrome irido-cornéo-endothélial. Ce groupe de maladies liées à la présence d'une prolifération cellulaire endothéliale cornéenne anormale est souvent unilatéral et se retrouve typiquement chez la femme jeune.
Si la chambre antérieure est profonde, que l'examen du segment antérieur met en évidence une néovascularisation irienne ou que la gonioscopie retrouve des néovaisseaux dans l'angle, il s'agit d'un glaucome néovasculaire. Selon le stade, l'angle iridocornéen peut être ouvert ou non (goniosynéchies étendues) en gonioscopie [26]. On recherche, avant dilatation, des néovaisseaux iriens au niveau du bord pupillaire dans les stades plus précoces, voire une véritable rubéose irienne dans les stades plus avancés, caractérisée par la présence de néovaisseaux radiaires et tortueux s'étendant à la surface du stroma irien (fig. 4-2-28). L'examen du fond d'œil de l'œil adelphe permet d'observer une rétinopathie diabétique proliférante. En l'absence de diabète, la cause la plus probable est une ischémie rétinienne chronique compliquant une occlusion de la veine centrale de la rétine. Un glaucome néovasculaire chez un patient non diabétique avec un fond d'œil de l'œil atteint normal conduit à l'exploration par échographie Doppler des troncs supra-aortiques à la recherche d'une sténose carotidienne.
Si la chambre antérieure est profonde avec un angle irido-cornéen ouvert en gonioscopie, associé à une inflammation de chambre antérieure, on évoquera une uvéite hypertensive.
Une poussée aiguë de tension peut se rencontrer au cours de l'évolution de glaucome chronique à angle ouvert. La chambre antérieure est profonde, l'angle iridocornéen est ouvert, les analyses bilatérale et comparative de l'angle en gonioscopie et de la chambre antérieure sont alors nécessaires pour orienter le diagnostic étiologique. Une dispersion de pigment irien dans l'angle iridocornéen, associée à une rétroposition irienne (face postérieure de l'iris très pigmentée frottant la face antérieure du cristallin), une atrophie irienne (iris transilluminable par dispersion pigmentaire) et des faisceaux de Krùkenberg sur l'endothélium cornéen (visibles en rétro-illumination), évoque un glaucome pigmentaire. La présence de dépôts blanchâtres bilatéraux de matériel exfoliatif dans l'angle et sur la cristalloïde antérieure, plus ou moins associés à une cataracte, évoque un glaucome exfoliatif.
Un œil rouge douloureux, avec une chambre antérieure très étroite, voire une athalamie, une propulsion en avant du cristallin qui repousse l'iris, dans les suites d'une chirurgie à globe ouvert (trabéculectomie, iridectomie chirurgicale, etc.), doit faire craindre un glaucome malin. Dans ce cas, le blocage est ciliaire, et le traitement repose notamment sur l'atropine.
L'anomalie visuelle constitue un motif fréquent de consultation en urgence qui pourrait concerner un quart des DSNPO (voir tableau 4-2-1). Il faut dès l'interrogatoire en faire préciser les caractéristiques. Elles permettent de prioriser le patient selon le degré d'urgence suspecté. Avant de lister les antécédents du patient et d'évaluer le terrain, il est nécessaire d'évaluer de quelle anomalie visuelle il s'agit (fig. 4-2-29). Il faut savoir si elle est uni- ou bilatérale, permanente ou transitoire, si elle est d'apparition brutale ou progressive, si elle concerne la vision de loin, la vision de près, voire les deux. Cette démarche, associée à un interrogatoire et un examen clinique rigoureux, permet une orientation étiologique rapide et donc de ne pas passer à côté de pathologies engageant le pronostic visuel voire vital. Notre enquête a rapporté une proportion de 45 % d'anomalies visuelles permanentes et 2 % d'anomalies visuelles transitoires dans les composantes symptomatologiques des patients consultant en structure d'urgence (SU) d'ophtalmologie [2].
La suite de l'interrogatoire se poursuit par le recueil des antécédents personnels généraux. On recherche des facteurs de risque cardiovasculaires (diabète, hypertension artérielle, dyslipidémie, etc.), les antécédents ophtalmologiques du patient (glaucome chronique, pathologies rétiniennes type dégénérescence maculaire liée à l'âge [DMLA], myopie, etc.), mais également familiaux (DMLA, décollement de rétine, etc.). La notion de chirurgie oculaire récente ou de laser est aussi recherchée. L'interrogatoire permet de préciser les traitements en cours (anticoagulants) et de rechercher une notion de traumatisme même minime. Le terrain, l'âge et la profession doivent également être consignés dans le dossier.
La nature de l'anomalie visuelle en tant que symptôme fonctionnel ne se limite pas à un trouble de l'acuité. Il n'est pas toujours aisé de faire préciser au patient la nature du symptôme. Trois questions se posent :
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Se plaint-il réellement d'une anomalie visuelle ?
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Comment l'anomalie visuelle se caractérise-t-elle (fig. 4-2-29) ? Elle peut être permanente ou transitoire. La vision peut être floue ou double (diplopie), voire amputée dans le champ visuel. Il peut exister des signes fonctionnels associés tels que des myodésopsies (impression de voir des mouches volantes suivant la mobilisation oculaire), des phosphènes (flashs lumineux), des métamorphopsies (déformation des lignes droites qui apparaissent ondulées) ou encore un scotome (tache fixe dans le champ de vision).
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Existe-t-il une douleur ou une inflammation associées ? La douleur associée est soit superficielle, soit profonde. Elle peut être majorée notamment à la mobilisation du globe oculaire, avec des céphalées orientant vers une cause potentiellement neuro-ophtalmologique.
À la fin de l'interrogatoire, le praticien doit avoir une orientation étiologique et guider l'examen clinique et les examens paracliniques en fonction de la pathologie suspectée.
Toute baisse visuelle impose l'estimation d'une acuité visuelle. Cette première étape confirme qu'il existe une réelle baisse de vision. On suspecte un trouble réfractif isolé lorsque l'acuité visuelle remonte totalement grâce à l'interposition d'un trou sténopéique. L'anomalie visuelle est corrigeable par le port de verres correcteurs.
Lorsque cela est possible, il sera au mieux réalisé aux urgences une réfraction subjective après mesure à l’autoréfractomètre et non juste avec les verres déjà portés par le patient. En effet, les verres correcteurs peuvent ne plus être adaptés à la vision actuelle du patient et expliquer la baisse de vision.
Les troubles réfractifs représentent 0,8 % des causes retrouvées d'anomalie visuelle aux urgences [2]. Il a été rapporté qu'ils peuvent représenter jusqu'à 3 % des passages en SU [27]. Cette incidence est probablement plus élevée quand leur prise en charge est déficitaire par ailleurs. Il convient donc dans ce cadre précis de réorienter le patient vers une filière de soins programmés pour qu'il bénéficie de la prescription de verres correcteurs.
Si l'on suspecte une amputation du champ visuel, l'examen du champ visuel par confrontation pourra être effectué aux urgences en attendant de pouvoir réaliser une périmétrie plus précise (encadré 4-2-3) . Cette méthode permet de dépister un déficit important du champ visuel.
Encadré 4-2-3
Le patient et le médecin se placent face à face, à environ 50 cm l’un de l’autre. Tous les deux se masquent un oeil. Le patient doit regarder l’oeil de l’examinateur situé face à lui (si le patient se cache l’oeil gauche, il regardera l’oeil gauche de l’examinateur avec son oeil droit). Le médecin déplace ensuite lentement un objet tendu type stylo dans chaque quadrant du champ visuel, en allant de la périphérie vers le centre, en s’assurant que le patient maintienne sa fixation. Le champ visuel du patient est considéré comme normal lorsqu’il perçoit l’objet en même temps que l’examinateur.
En cas de suspicion d'amputation du champ visuel, un examen à la recherche d'autres signes neurologiques est réalisé avant de poursuivre l'examen purement ophtalmologique. L'oculomotricité est testée dans les 9 positions du regard afin de rechercher une éventuelle paralysie oculomotrice responsable d'une diplopie. Les réflexes photomoteurs direct (œil éclairé) et consensuel (œil controlatéral) sont testés avant dilatation pupillaire afin de s'assurer de leur présence et de leur symétrie. On recherche notamment un signe de Marcus-Gunn ou un déficit pupillaire afférent relatif (DPAR), correspondant à la dilatation paradoxale de la pupille du côté atteint lors d'un éclairement alterné des deux yeux, évocateur de neuropathie optique unilatérale. On recherche également une asymétrie de taille pupillaire ou anisocorie.
Sur le plan ophtalmologique, une bonne vision dépend certes d'une bonne correction en cas d'amétropie mais également d'une bonne transparence des milieux composant l'œil, à savoir la cornée, la chambre antérieure, le cristallin, le vitré. Toutes ces structures devront donc être analysées car elles constituent une source potentielle d'anomalie visuelle.
Le segment antérieur est examiné avant dilatation pupillaire pour permettre une évaluation de la profondeur de chambre antérieure et l'analyse de l'angle iridocornéen. Cela permet également de ne pas méconnaître une anomalie du réflexe photomoteur ou la présence de certains signes telle une rubéose irienne débutante qui pourrait être masquée par la dilatation pupillaire. Une perte de la transparence cornéenne par lésion dans l'axe visuel ou par œdème cornéen peut être à l'origine d'une baisse de vision rendant nécessaire un examen attentif du segment antérieur. La prise de la pression oculaire, notamment dans ce dernier cas, est importante, toute hypertonie aiguë pouvant être à l'origine d'un œdème cornéen. De même, une inflammation importante de chambre antérieure dans le cadre d'une uvéite antérieure peut s'accompagner d'une baisse visuelle. L'examen du segment antérieur doit être complété après dilatation pupillaire pour permettre l'analyse du cristallin et évaluer sa transparence, la cataracte constituant une source fréquente de baisse visuelle.
L'analyse de la partie postérieure de l'œil après dilatation pupillaire est obligatoire en cas de baisse de vision. Elle permet d'examiner tout d'abord le vitré, sa transparence, l'éventuelle présence de cellules inflammatoires ou hyalite, de cellules hématiques ou hémorragie intravitréenne, rendant parfois inaccessible le fond d'œil. Si ce dernier est accessible, on réalise un examen bilatéral comparatif après dilatation pupillaire, pour analyser : la papille (coloration, présence d'hémorragie ou d'œdème papillaire), la macula (signes de DMLA, hémorragie, coloration), les vaisseaux (dilatations, hémorragies, aspect blanchâtre), la présence de foyers choriorétiniens, la périphérie (déhiscences, rétinite, vascularite). En cas de trouble des milieux, l'analyse du fond d'œil peut être réalisée par une lentille grand champ type quadrasphérique.
À la fin de l'interrogatoire et des examens cliniques et paracliniques, plusieurs possibilités se présentent :
- –
une anomalie visuelle brutale permanente uni- ou bilatérale ;
- –
une anomalie visuelle transitoire uni- ou bilatérale ;
- –
une anomalie visuelle progressive.
Nous excluons de cette section les pathologies ophtalmologiques associant un œil rouge et/ou douloureux, traumatiques ou non, à une anomalie visuelle (traitées dans le chapitre 4.2.2 , paragraphe « Étiologie d'œil rouge douloureux avec anomalie visuelle »), ainsi que les pathologies neuro-ophtalmologiques (détaillées dans le chapitre 5.3 ).
Il faut toujours rechercher les signes fonctionnels associés ou qui ont précédé l'anomalie visuelle tels des phosphènes ou des myodésopsies qui nous orienteraient vers un décollement de la rétine par exemple. Des métamorphopsies, orientant vers une pathol ogie maculaire, doivent également être recherchées. Le recueil des antécédents personnels et généraux est un moment important de la conduite diagnostique afin d'évaluer le terrain (âge, sexe, antécédents cardiovasculaires, notamment diabète et hypertension artérielle) mais également les antécédents ophtalmologiques (chirurgie récente, suivi pour un glaucome chronique ou autre pathologie). La notion de traumatisme doit toujours être recherchée.
Si le tableau est celui d'un œil blanc indolore associé à une anomalie visuelle brutale permanente profonde, non chiffrable (perception lumineuse, voit bouger la main), sans autre signes associés, avec un examen du segment antérieur normal et un fond d'œil qui peut apparaître normal, il faut évoquer en premier lieu une occlusion de l'artère centrale de la rétine (OACR). Le patient présente alors souvent des facteurs de risque ou des antécédents cardiovasculaires (hypertension artérielle, diabète, dyslipidémie, prothèses valvulaires, arythmie cardiaque, syndrome coronarien). Il peut décrire des épisodes de cécité monoculaire transitoire ayant précédé la baisse visuelle permanente. Une atteinte du réflexe pupillaire à type de mydriase aréflexique avec un réflexe photomoteur consensuel conservé est possible. Le fond d'œil peut être normal dans les premières heures ou en cas de reperfusion artérielle précoce, mais peut montrer des artères grêles avec un courant granuleux si l'occlusion persiste au moment de l'examen [28]. La rétine a une coloration typiquement blanchâtre prédominant au niveau du pôle postérieur correspondant à l'œdème rétinien ischémique. La macula apparaît rouge cerise. Un embole peut être visible au niveau d'une bifurcation artérielle, orientant vers une cause emboligène (fig. 4-2-30) [29]. Le diagnostic est clinique mais en cas de doute diagnostique si le fond d'œil est normal, un examen en tomographie par cohérence optique (OCT) de la région maculaire peut aider au diagnostic en révélant un œdème rétinien associé à une hyperréflectivité des couches internes de la rétine, prédominant au niveau de la couche nucléaire interne (fig. 4-2-31) [30]. L'OACR est un accident vasculaire grave localisé dans le territoire de la carotide interne. Devant ce tableau, certaines étiologies pouvant engager le pronostic visuel voire vital doivent être recherchées par un bilan réalisé aux urgences. Il faut éliminer une cause artéritique, principalement la maladie de Horton, par la recherche d'un syndrome inflammatoire biologique (vitesse de sédimentation, protéine C réactive) notamment chez des patients plus de 50 ans. On recherche à l'interrogatoire d'autres signes cliniques associés tels qu'une claudication intermittente de la mâchoire, des céphalées temporales d'apparition récente, une hyperesthésie du cuir chevelu, des douleurs articulaires des ceintures scapulaires et pelviennes évoquant une pseudo-polyarthrite rhizomélique. Ces pathologies pouvant se bilatéraliser, il est important de rapidement les diagnostiquer afin de débuter le plus précocement possible le traitement adapté (bolus de corticoïdes). Outre les causes emboligènes les plus fréquentes, retrouvées chez des patients avec des facteurs de risque cardiovasculaires, il faut éliminer d'autres causes plus rares, notamment chez des patients plus jeunes, telles que des troubles de la coagulation et des pathologies cardiaques qui nécessiteront le transfert de ces patients vers des services spécialisés. Il faut également rechercher une dissection de la carotide interne chez un patient de moins de 50 ans présentant une OACR associée à des céphalées, des cervicalgies, voire un syndrome de Claude Bernard-Horner (association d'un ptosis, d'un myosis et d'une énophtalmie). Les patients nécessitent un examen clinique cardiovasculaire (auscultation cardiaque et des vaisseaux du cou) et neurologique associé à une prise de la tension artérielle et à la réalisation d'un électrocardiogramme aux urgences ophtalmologiques, avant d'être transférés dans un service adapté afin de poursuivre le bilan étiologique (échographie des troncs supra-aortiques, échographie cardiaque, etc.). Dans ce contexte une imagerie cérébrale avec analyse du polygone de Willis et des troncs supra-aortiques doit être réalisée en urgence pour rechercher un AVC ischémique dans un autre territoire. Aucun traitement curatif de l'OACR n'a prouvé son efficacité à ce jour. En revanche, il est important de prendre en charge en urgence ces patients présentant souvent un terrain cardiovasculaire à risque afin de prévenir la survenue d'autres accidents vasculaires cérébraux.
(Source : Pr M. Pâques.)
Un tableau d'œil blanc indolore avec une anomalie visuelle variable, avec au fond d'œil des veines dilatées et tortueuses, des hémorragies rétiniennes, plus ou moins associées à un œdème papillaire et maculaire, des nodules cotonneux, est évocateur d'occlusion veineuse rétinienne (OVR). Devant ce tableau, on recherche une hypertension artérielle et une hypertonie oculaire/glaucome qui constituent les deux principaux facteurs de risque de cette pathologie vasculaire [31]. Le fond d'œil est le plus souvent typique associant des hémorragies en flammèches, le long des veines, et des hémorragies rondes plus profondes, des veines dilatées et tortueuses (fig. 4-2-32).
Une anomalie visuelle unilatérale, associée à une dyschromatopsie, un trouble du champ visuel et un DPAR oriente vers une neuropathie optique (NO). Il est donc important de tester avant toute dilatation le réflexe pupillaire si le diagnostic de NO est suspecté. Le DPAR, ou signe de Marcus-Gunn, correspond à une dilatation paradoxale de la pupille de l'œil atteint à l'éclairement alterné des deux yeux. L'examen du fond d'œil peut être normal, ou retrouver un œdème ou une pâleur papillaire, en cas d'atteinte plus ancienne.
Si l'anomalie visuelle est précédée ou accompagnée de douleurs péri-orbitaires majorées à la mobilisation, survenant chez un sujet jeune, le diagnostic le plus probable est celui de neuropathie optique inflammatoire ou névrite optique [32]. Devant ce tableau, la réalisation d'un champ visuel et d'une IRM cérébrale est nécessaire pour confirmer le diagnostic. La prescription d'un bilan biologique sanguin aux urgences permet de rechercher une cause infectieuse et d'adapter le plus rapidement possible le traitement étiologique.
Si l'anomalie visuelle est brutale, survenant chez un sujet de plus de 50 ans, avec facteur de risque cardiovasculaire (hypertension artérielle), le diagnostic à évoquer en premier lieu est une neuropathie optique ischémique antérieure aiguë (NOIAA). Le fond d'œil met classiquement en évidence un œdème papillaire et des hémorragies en flammèches péripapillaires (fig. 4-2-33). Dans ce contexte, il faut rechercher à l'interrogatoire des signes évoquant la maladie de Horton et un syndrome inflammatoire biologique en urgence signant une NOIAA artéritique. Des arguments cliniques peuvent orienter vers une NOIAA artéritique plutôt que non artéritique : anomalie visuelle plus profonde, signes associés de maladies de Horton ou de pseudo-polyarthrite rhizomélique, pâleur papillaire au fond d'œil.
Si l'anomalie visuelle est progressive, associée à d'autres signes tels une exophtalmie, un ptosis, une atteinte des paires crâniennes ou une paralysie oculomotrice, le diagnostic de neuropathie optique infiltrative ou compressive doit être recherché par la réalisation d'une imagerie cérébrale (IRM cérébrale et orbitaire).
Une anomalie visuelle rapidement progressive se manifestant par un voile noir amputant le champ visuel, précédée par des myodésopsies et des phosphènes est évocatrice de décollement de la rétine (DR). L'interrogatoire retrouve souvent des facteurs de risque tels qu'une myopie, un antécédent de traumatisme, un antécédent familial de DR ou un antécédent personnel de chirurgie oculaire. L'anomalie visuelle est variable et survient lorsque la macula se soulève. Le diagnostic est souvent aisé au fond d'œil retrouvant une membrane saillante opaque mobile avec les mouvements oculaires pour les DR récents. Le fond d'œil doit rechercher la lésion causale telles des déchirures rétiniennes à clapet, visibles sous la forme de lambeaux antérieurs rétiniens restés solidaires à la rétine apparaissant sous la forme de lésion (en U, en V ou en fer à cheval), ou des trous avec opercules correspondant à des déchirures arrondies avec un lambeau désolidarisé flottant dans le vitré en regard de la lésion. Ces lésions, apparaissant rouges car mettant à nu l'épithélium pigmentaire et la choroïde, se distinguent ainsi de la rétine décollée qui, elle, est décolorée (fig. 4-2-34). Le fond d'œil doit être bilatéral et comparatif à la recherche de déhiscences périphériques sur l'œil adelphe. Le patient doit être adressé en urgence vers un chirurgien vitréorétinien qui posera l'indication opératoire et évaluera le degré d'urgence en fonction des caractéristiques du DR, afin d'assurer le meilleur pronostic visuel et anatomique.
Une anomalie visuelle associée à des myodésopsies, une impression de pluie de suie et un fond d'œil difficilement ou non accessible, évoque une hémorragie intravitréenne (HIV). Les patients peuvent décrire des volutes rouges correspondant à la présence de sang dans la cavité vitréenne. L'interrogatoire recherche des facteurs de risque, tels un traumatisme oculaire, un diabète, une hypertension artérielle, un antécédent de chirurgie oculaire ou de DMLA. En cas de fond d'œil inaccessible, une échographie en mode B est utile pour éliminer un DR (voir chapitre 6 ). Les causes d'HIV sont détaillées plus loin (voir le paragraphe « Conduite à tenir devant des myodésopsies »).
Une anomalie visuelle prédominant sur la vision de près associée à des métamorphopsies (déformation des lignes droites), un scotome central, des dyschromatopsies (anomalie de la vision des couleurs) ou des micropsies (perception de l'image plus petite) oriente vers une pathologie maculaire. Les causes sont variées. On citera notamment un œdème maculaire (compliquant un diabète, une occlusion veineuse rétinienne, etc.), une hémorragie maculaire (néovascularisation choroïdienne compliquant une myopie forte, une DMLA, etc.), une choriorétinopathie séreuse centrale. La prise en charge est fonction de la cause. Ces pathologies sont détaillées plus loin (voir le paragraphe « Conduite à tenir devant des myodésopsies »).
Ces anomalies sont liées aux causes neurologiques centrales, par cécité corticale, ou périphériques, par neuropathies optiques (toxiques, etc.).
Une anomalie visuelle transitoire décrite comme un rideau noir amputant le champ visuel de haut en bas le plus souvent, spontanément régressif en quelques minutes, correspond à une cécité monoculaire transitoire (CMT) ou amaurose fugace. Elle est due à un défaut de perfusion aiguë et temporaire du globe oculaire. La CMT est à considérer comme un accident ischémique transitoire. Il faudra rechercher à l'anamnèse d'autres épisodes de déficit neurologique aigu transitoire (hémiparésie, troubles du langage, déficit moteur, etc.) qui peuvent être concomitants de l'épisode de CMT ou dissociés chronologiquement. La présence d'une atteinte motrice ou sensitive de l'hémicorps controlatéral à la CMT ou de trouble du langage oriente vers une sténose carotidienne. Des atteintes multiples dans des territoires vasculaires différents orientent vers une étiologie cardioembolique (électrocardiogramme [ECG], échographie cardiaque). La présence d'un syndrome de Claude Bernard-Horner homolatéral à la CMT, dans un contexte de douleur, oriente vers une dissection carotidienne. Le fond d'œil peut orienter l'étiologie en visualisant notamment un embole dans la circulation rétinienne, rendant urgent la réalisation d'examens complémentaires pour le diagnostic étiologique. Un bilan cardiovasculaire (auscultation des carotides, ECG, mesure de la tension artérielle) à la recherche d'une sténose carotidienne doit être demandé, principale étiologie des CMT. Si le patient est vu en cabinet, il devra être orienté vers son médecin traitant pour la suite de la prise en charge. La recherche d'un syndrome inflammatoire biologique pour éliminer la maladie de Horton, chez des patients de plus de 50 ans, en cas de céphalées ou autres symptômes (claudication de la mâchoire, hyperesthésie du cuir chevelu, douleurs articulaires des ceintures pelvienne et scapulaire, etc.), est obligatoire.
Une anomalie visuelle transitoire bilatérale à type de scotomes scintillants, ou plus rarement à type de déficit systématisé du champ visuel (hémianopsies latérales homonymes), suivie de céphalées évoque une migraine ophtalmique. Les symptômes visuels précèdent le plus souvent les céphalées mais peuvent être concomitants et même dans une minorité de cas ne pas être suivis de crise migraineuse. Entre les crises, la régression totale des symptômes est la règle. La récupération de la vision se fait classiquement du centre vers la périphérie [33]. Devant une crise inaugurale ou une atypie de la crise migraineuse, il faut éliminer les autres causes d'anomalies visuelles transitoires et demander une imagerie cérébrale.
Si l'anomalie visuelle ne dure que quelques secondes, et survient lors d'un changement de position (passage en orthostatisme), lors de mouvements oculaires ou de la tête, on évoque des éclipses visuelles. Dans ce contexte, l'interrogatoire recherche des signes associés tels des céphalées, une diplopie binoculaire, des acouphènes. Elles traduisent le plus souvent un œdème papillaire, dont la première cause à évoquer est l'hypertension intracrânienne (HIC). Dans ce cas, une IRM cérébrale doit être réalisée en urgence pour différencier une cause idiopathique d'une cause secondaire (tumeur cérébrale, thrombophlébite cérébrale). Une hypotension orthostatique peut aussi être en cause.
Ses causes variées sont variées : troubles réfractifs, progression d'une cataracte, DMLA, rétinopathie diabétique, neuropathies optiques, etc. Dans ce cas, la consultation d'urgence permet de distinguer les diagnostics nécessitant une prise en charge urgente, cités précédemment, des pathologies non urgentes pouvant être réadressées vers des consultations programmées. Même si l'anomalie visuelle est progressive, la consultation ophtalmologique doit suivre le même déroulement que pour les autres tableaux d'anomalie visuelle. En effet, certains patients peuvent attendre avant de consulter et représenter, par ailleurs, de véritables urgences ophtalmologiques.
Ces symptômes fonctionnels constituent environ 6 % des motifs de consultation en SU d'ophtalmologie [2]. Les patients les décrivent le plus souvent comme des mouches passant devant leur champ de vision et mobiles avec l'œil. Ils peuvent également avoir l'impression d'avoir comme des filaments devant les yeux ou des toiles d'araignée. Ces symptômes d'apparition brutale sont souvent très anxiogènes pour les patients. Ils correspondent à des corps flottants dans le vitré qui sont mobiles avec les mouvements oculaires et souvent mieux vus sur des fonds clairs. Ces symptômes peuvent être liés à des pathologies bénignes type décollement postérieur du vitré non compliqué (80 %), mais également à des pathologies engageant le pronostic visuel tel un DR (3 %).
Comme pour toute autre conduite à tenir aux urgences, l'interrogatoire doit être orienté en fonction des signes fonctionnels et le terrain doit être évalué pour rapidement prioriser le patient. En effet, les patients consultant en urgence avec des myodésopsies ne présentent pas tous une lésion rétinienne à photocoaguler en semi-urgence ou un DR à prendre en charge chirurgicalement et sans délai dans un centre spécialisé. Le plus souvent, il s'agit d'un décollement postérieur du vitré (5 % des diagnostics posés pour les DSNPO de l'étude épidémiologique précédemment citée et 80 % des myodésopsies). Il est donc important d'évaluer les symptômes dans un premier temps : les myodésopsies sont-elles uni- ou bilatérales et d'apparition brutale ? Quelle est leur évolution ? Sont-elles stables ou au contraire s'aggravent-elles ? Existe-t-il d'autres signes fonctionnels associés tels que des phosphènes (flashs lumineux), une baisse d'acuité visuelle, des métamorphopsies (déformation des lignes droites), une amputation du champ visuel ? Il est important également de connaître le terrain (âge du patient), les antécédents personnels, notamment ophtalmol ogiques (myopie, traumatisme, laser pour des déhiscences rétiniennes, etc.), mais également familiaux (antécédents de DR, etc.). La notion de chirurgie oculaire récente ou de laser est notamment à rechercher dans ce contexte.
Devant toute suspicion de pathologie nécessitant un traitement chirurgical en urgence, il est important de demander au patient l'heure de son dernier repas mais également de lui préciser de rester à jeun avant tout diagnostic définitif.
L'acuité visuelle doit être évaluée de manière bilatérale comparative de loin et de près selon les modalités précédemment citées. Une baisse de l'acuité visuelle de près évoque une atteinte maculaire. Une analyse du champ visuel par confrontation est également faite. Avant dilatation pupillaire, l'examen du segment antérieur recherche des signes inflammatoires, une anomalie du réflexe pupillaire, mais également des anomalies iriennes telles une rubéose irienne dans le cadre d'une occlusion veineuse rétinienne par exemple. La pression intra-oculaire est également mesurée.
Ces symptômes fonctionnels imposent la réalisation d'un fond d'œil bilatéral comparatif à la recherche d'une pathologie vitréorétinienne. L'analyse du vitré commence par l'analyse du vitré antérieur, visible à la lampe à fente, inclinée de 45°, sans l'aide d'une lentille d'examen. La présence dans le vitré antérieur de cellules pigmentées impose d'analyser rigoureusement la périphérie rétinienne à la recherche de déhiscences périphériques voire d'un DR. On examine ensuite, après dilatation pupillaire, le vitré postérieur et central à l'aide d'une lentille d'examen contact ou non-contact. Les lentilles non-contact permettent une analyse dynamique du vitré, les lentilles de contact type quadrasphérique permettent une analyse de la périphérie du vitré, même en cas de trouble des milieux.
Si un patient de plus de 50 ans présente des myodésopsies unilatérales, d'apparition brutale sans baisse visuelle associée, avec un examen du segment antérieur normal et un fond d'œil accessible qui paraît normal, le diagnostic le plus probable est celui de décollement postérieur du vitré non compliqué. Un examen minutieux de la périphérie rétinienne devra éliminer la présence d'une déhiscence périphérique imposant un traitement en semi-urgence par laser argon. Les patients décrivent souvent des circonstances favorisant les troubles, tels la fatigue, le regard latéral mais également le travail sur écran. Il convient de rassurer les patients (tâche parfois difficile) et de leur conseiller un contrôle du fond d'œil avec leur ophtalmologiste traitant 2 mois plus tard.
Si l'examen de la périphérie retrouve une déhiscence périphérique type déchirure, dégénérescence palissadique, givre, un traitement par laser argon devra être réalisé en semi-urgence, afin d'éviter une évolution vers un DR.
En cas de DR rhegmatogène avéré, un avis chirurgical surspécialisé est nécessaire. Un schéma précis est réalisé aux urgences, mentionnant la topographie du DR, englobant ou non la macula (macula on ou off ), les déhiscences retrouvées (déchirure, trou, palissade, etc.) à l'examen au verre à 3 miroirs ou autre lentille d'examen, la présence d'une prolifération vitréorétinienne (PVR), et toutes autres anomalies constatées à l'examen de la rétine en préopératoire. Selon l'ancienneté du DR, la topographie, le terrain, la présence de PVR et le statut maculaire, la chirurgie est réalisée de manière plus ou moins urgente. Dans l'attente de la chirurgie, la prise en charge aux urgences est importante en positionnant le patient pour éviter une progression du DR vers la macula (principalement en cas de DR supérieur), en réalisant le bilan préopératoire et en maintenant le patient à jeun en vue de la chirurgie.
Si les myodésopsies sont intermittentes et bilatérales, il ne faudra pas méconnaître des variations de pression artérielle et contrôler ce paramètre lors de l'examen non programmé. Le fond d'œil recherchera des signes d'hypertension artérielle (HTA) et d'artériosclérose comme des signes du croisement artérioveineux, des rétrécissements artériels. Dans ce cas, le patient doit être réadressé vers son médecin traitant pour la prise en charge de l'HTA. Si le fond d'œil révèle des signes d'HTA maligne tels un œdème papillaire bilatéral, des hémorragies en flammèches, des nodules cotonneux, le patient doit être orienté en urgence vers un service spécialisé.
Les myodésopsies peuvent être liées à la présence d'une hyalite (cellules inflammatoires dans le vitré). Elle se retrouve notamment dans les uvéites intermédiaires et postérieures comme décrites précédemment. Dans ce cas, l'examen biomicroscopique retrouve souvent d'autres lésions associées tels des snowballs, des vascularites, des foyers choriorétiniens voire une atteinte inflammatoire du segment antérieur.
La présence de sang dans le vitré ou hémorragie intravitréenne est également source de myodésopsies. Aux autres symptômes fonctionnels décrits précédemment s'associe souvent la vision d'une pluie de suie d'apparition aiguë. Elle peut être liée à plusieurs pathologies, d'où la nécessité de faire un fond d'œil comparatif avec l'œil adelphe. Leurs causes traumatiques sont détaillées dans le chapitre 4.2.1 , paragraphe « Examen aux urgences ».
Des myodésopsies brutales unilatérales sans autres signes associés, avec un fond d'œil controlatéral normal chez un patient de plus de 50 ans sans antécédents particuliers, évoquent en premier lieu un décollement postérieur du vitré hémorragique. Il est important dans ce cadre d'examiner scrupuleusement la périphérie rétinienne à la recherche de déhiscences périphériques responsables du saignement. En effet, les patients non diabétiques présentant une hémorragie intravitréenne ont un risque élevé de déchirures rétiniennes (65 %), voire de DR (39 %) [34]. Dans ce contexte, l'utilisation d'une lentille grand champ type quadrasphérique permet de mieux analyser le fond d'œil au travers de l'hémorragie. En cas de doute sur la présence d'une lésion ou d'inaccessibilité du fond d'œil du fait de la densité de l'hémorragie, une échographie en mode B doit être demandée en urgence pour s'assurer de l'absence de DR. L'association d'une hémorragie intravitréenne avec une hypotonie fait suspecter un DR. Si le fond d'œil ou l'échographie retrouvent une déhiscence périphérique, la lésion responsable doit être rapidement traitée pour éviter toute évolution vers un DR. Si la lésion n'est pas accessible à un traitement par laser externe du fait du trouble des milieux, l'avis surspécialisé d'un chirurgien vitréorétinien oriente la conduite à tenir. Selon la densité de l'hémorragie, le type et la localisation de la lésion, la durée d'évolution de l'hémorragie, une surveillance peut être envisagée. Elle permet d'observer la résorption de l'hémorragie, autorisant un éventuel laser externe. Dans d'autres cas, une vitrectomie chirurgicale peut être décidée même en l'absence de DR.
Si le patient présente des signes de rétinopathie diabétique sur l'œil controlatéral (microanévrismes, anomalies veineuses, nodules cotonneux, exsudats), le diagnostic le plus probable est celui d 'hémorragie intravitréenne compliquant une rétinopathie diabétique proliférante. L'interrogatoire recherche les antécédents personnels, notamment cardiovasculaires, ophtalmologiques (panphotocoagulation rétinienne sur l'œil atteint, antécédent de chirurgie oculaire), et l'équilibre du diabète (hémoglobine glyquée assez souvent méconnue du patient). Avant dilatation, il est important de vérifier l'iris à la recherche d'une rubéose irienne débutante et d'évaluer la pression intra-oculaire pour ne pas méconnaître un glaucome néovasculaire. Le bilan de l'œil controlatéral doit également être fait et peut poser l'indication d'une panphotocoagulation rétinienne (PPR) à réaliser rapidement le cas échéant. La prise en charge du patient s'adapte selon que le patient a déjà eu une PPR sur l'œil atteint ou non.
Si le patient présente un fond d'œil controlatéral normal mais décrit une éventuelle anomalie visuelle, évoluant depuis plusieurs semaines, associée parfois à des métamorphopsies sur un terrain glaucomateux ou hypertendu, le diagnostic d 'hémorragie intravitréenne sur occlusion veineuse rétinienne est à envisager. Si le fond d'œil du côté atteint est accessible, on notera des hémorragies périphériques dans les quatre quadrants, des veines dilatées et tortueuses.
Si le patient est déjà suivi pour une DMLA ou présente, au fond d'œil de l'œil adelphe, des drusen séreux, des altérations de l'épithélium pigmentaire, l'hémorragie peut être la complication d'une DMLA exsudative. Dans ce cas, il est important de connaître l'état antérieur de l'œil avant l'hémorragie, son acuité visuelle, le nombre d'IVT d' anti-vascular endothelial growth factor (anti-VEGF) et la date de la dernière injection afin d'adapter au mieux la prise en charge.
D'autres causes plus rares peuvent donner des hémorragies intravitréennes. Seule la réalisation du fond d'œil bilatéral, plus ou moins complété par des examens de type angiographie à la fluorescéine et au vert d'indocyanine, permet de poser le diagnostic étiologique : par exemple, drépanocytose, thalassémie, hémopathie, angiomatose rétinienne, tumeur rétinochoroïdienne.
Si le Tyndall est pigmenté, il peut s'agir d'un Tyndall ou d'une hémorragie intravitréenne vieillie. La présence d'un Tyndall pigmenté dans le vitré antérieur avant dilatation impose la réalisation d'un fond d'œil dilaté à la recherche d'une déhiscence périphérique, voire d'un DR passé inaperçu.
Dans tous les cas, si le fond d'œil n'est pas accessible, une échographie en mode B doit être réalisée à la recherche de déhiscences rétiniennes, voire de DR. L'examen du fond d'œil controlatéral est essentiel pour le diagnostic étiologique. L'avis d'un surspécialiste rétinien, voire d'un chirurgien vitréorétinien, doit être demandé en cas de doute sur la bonne prise en charge thérapeutique du patient.
Les métamorphopsies constituent un symptôme peu fréquent (0,3 %) des DSNPO en SU. Bien que moins fréquentes que les myodésopsies, elles sont également perçues de manière angoissante par les patients. Elles constituent l'un des signes fonctionnels que peuvent présenter les patients atteints de pathologie maculaire ; elles sont donc à considérer comme sérieuses. Ce symptôme fait en effet partie du syndrome maculaire. L'anomalie visuelle prédomine sur la vision de près et peut s'associer à un scotome, des dyschromatopsies et/ou des micropsies. La symptomatologie peut être fluctuante, prédominant le matin.
Dans ce cadre encore, un interrogatoire précise les antécédents généraux (diabète, etc.), ophtalmologiques personnels (DMLA, myopie forte, uvéite chronique, etc.) et familiaux (DMLA, DR, etc.). Le terrain (âge, sexe) oriente également le diagnostic étiologique. La prise de médicaments par voie générale, de collyres, notamment hypotonisants (prostaglandines), ou de stupéfiants est également à rechercher selon le contexte.
L'évaluation de l'acuité visuelle de près se fait en vision monoculaire puis en vision binoculaire pour confirmer la présence de métamorphopsies et déterminer l'œil atteint. L'examen du segment antérieur avant dilatation recherche des signes inflammatoires en segment antérieur (Tyndall inflammatoire), des anomalies iriennes (nodules, rubéose irienne, etc.). Il évalue la pression intra-oculaire ainsi que les réflexes photomoteurs.
Les métamorphopsies imposent la réalisation d'un fond d'œil dilaté à la recherche d'une pathologie rétinienne. Celui-ci permet de détecter la présence d'hémorragie maculaire, de décollement séreux rétinien (DSR), d'œdème maculaire ou encore de taches blanches. Le diagnostic positif est largement aidé actuellement par l'utilisation de la tomographie en cohérence optique (OCT), procédé d'imagerie permettant une analyse fine de la région maculaire. En effet, l'OCT est réalisée en bilan de première intention devant une baisse visuelle de près même en l'absence de métamorphopsies. Le fond d'œil ne permet pas toujours de diagnostiquer de manière certaine une pathologie maculaire. L'OCT est plus objectif que l'examen biomicroscopique. Il documente l'aspect à la prise en charge initiale. Si l'OCT ne peut pas être effectuée dans le cadre d'une consultation exploratoire, le patient sera adressé vers un centre surspécialisé de rétine médicale pour explorations complémentaires selon le degré d'urgence de la pathologie. En plus de l'OCT, une angiographie à la fluorescéine et au vert d'indocyanine peut être réalisée selon l'indication.
Si le patient se plaint d'un flou visuel associé à un trouble de la vision des contrastes et des couleurs plus que de métamorphopsies, avec une symptomatologie fluctuante au cours de la journée et une perte de la dépression fovéolaire au fond d'œil, on s'oriente vers un œdème maculaire. L'interrogatoire recherche alors : une notion de diabète ou d'hypertension artérielle ; un antécédent récent de chirurgie oculaire orientant vers un œdème maculaire inflammatoire postopératoire ou un syndrome d'Irvine-Gass ; des antécédents ophtalmologiques personnels (uvéites) et familiaux (dystrophie rétinienne) ; une prise de collyres potentiellement toxiques (prostaglandines). Le fond d'œil dilaté bilatéral comparatif recherche des signes de rétinopathie diabétique orientant vers un œdème maculaire diabétique. Une atteinte strictement unilatérale avec un tableau d'occlusion veineuse rétinienne évoque un œdème maculaire compliquant une OVR. Un fond d'œil qui peut paraître normal ou qui retrouve seulement une perte de la dépression fovéolaire, dans un contexte postopératoire, évoque un syndrome d'Irvine-Gass (fig. 4-2-35). Devant une suspicion d'œdème maculaire, l'OCT confirme et oriente le diagnostic étiologique. Il est précisé ensuite par la réalisation d'une angiographie rétinienne.
Si le fond d'œil retrouve une lésion centrale grisâtre associée à des hémorragies dans la région maculaire, le diagnostic le plus probable est celui de néovaisseaux choroïdiens (NVC). La présence au fond d'œil, de l'œil atteint et de l'œil adelphe, de signes de maculopathie liée à l'âge, tels des drusen ou des altérations de l'épithélium pigmentaire, chez un patient âgé de plus de 50 ans oriente vers une DMLA néovasculaire. Le fond d'œil peut retrouver selon le type de NVC, un DSR, des exsudats lipidiques, des hémorragies rétiniennes ou sous-rétiniennes (fig. 4-2-36).
La présence d'une choroïdose myopique au fond d'œil et d'une myopie forte est en faveur d'un NVC du myope fort (fig. 4-2-37). Au fond d'œil, le NVC est « visible » sous la forme d'une surélévation grisâtre plus ou moins bordée par un DSR, d'appréciation clinique délicate. Des hémorragies peuvent s'y associer qui n'ont classiquement pas le caractère rond et profond des ruptures isolées de la membrane de Bruch, principal diagnostic différentiel chez le myope fort devant l'apparition d'un syndrome maculaire brutal. Les deux entités peuvent être associées dans un tiers des cas et rendent nécessaires la réalisation d'examens complémentaires (angiographie au vert d'indocyanine et à la fluorescéine) [35].
Si le patient présente des taches blanches au fond d'œil, associées à des signes inflammatoires du segment antérieur (Tyndall inflammatoire, PRC, synéchies, etc.) ou du segment postérieur (hyalite, vascularites, œdème papillaire, etc.), dans un contexte de syndrome pseudo-grippal, de contage infectieux ou de certaines maladies systémiques (sarcoïdose, etc.), le premier diagnostic à évoquer est celui de NVC compliquant une uvéite postérieure (choroïdite multifocale, choroïdite ponctuée interne, etc.).
Devant la présence d'une hémorragie maculaire, le patient doit être orienté vers une consultation surspécialisée de rétine médicale dans un délai inférieur à 1 semaine afin de bénéficier d'une angiographie rétinienne pour construire le diagnostic positif et étiologique. Si le diagnostic de NVC est confirmé, une prise en charge en urgence permet d'instaurer dans la foulée un traitement par IVT d'anti-VEGF, la rapidité de mise en œuvre conditionnant le pronostic fonctionnel.
Si l'acuité visuelle est relativement conservée, améliorée par une correction hypermétropique, avec un fond d'œil paraissant normal ou retrouvant seulement un DSR maculaire limité sans autre anomalie (pas d'hémorragie) chez un patient de moins de 50 ans, le diagnostic le plus probable est celui de choriorétinopathie séreuse centrale. Un contexte de stress ou de prise de corticoïdes est souvent retrouvé. L'OCT permet le diagnostic positif (fig. 4-2-38). Si elle ne peut être faite sur place, le patient est alors orienté vers un centre spécialisé afin de confirmer le diagnostic souvent source de stress pour le patient. Une régression du DSR est le plus fréquemment observée 4 à 6 semaines après le diagnostic. Une angiographie est réalisée s'il persiste au-delà.
Si le fond d'œil retrouve un aspect de voile transparent recouvrant la macula ou un reflet brillant cellophane, plus ou moins associé à une déformation des vaisseaux à destination maculaire ou à des plis rétiniens, le diagnostic à évoquer est celui de membrane épimaculaire. La confirmation se fait par la réalisation d'une OCT maculaire (fig. 4-2-39). Le délai de prise en charge est moins urgent que pour une suspicion de néovascularisation choroïdienne. L'acuité visuelle, la gêne fonctionnelle et l'aspect OCT évalués au cours de la consultation d'orientation permettent d'adresser le patient à un surspécialiste pour évaluer l'indication chirurgicale.
a. Rétinophotographie couleur retrouvant un aspect de trou maculaire et de membrane épimaculaire, reflet cellophane brillant associé à une déformation des vaisseaux à destination maculaire. b. Coupe SD-OCT maculaire d'un autre patient retrouvant une membrane épimaculaire avec perte de la dépression fovéolaire et plis de la rétine interne.
D'autres pathologies maculaires, tels les trous maculaires et autre syndrome de l'interface vitréorétinienne, peuvent donner un syndrome maculaire amenant les patients à consulter en urgence. Dans toutes ces pathologies, la réalisation d'une OCT maculaire permet le diagnostic positif. Les patients sont ensuite dirigés vers une consultation surspécialisée afin de poursuivre la prise en charge.
Au cours de l'étude effectuée entre 2015 et 2016, la douleur oculaire représentait le symptôme le plus fréquent motivant le passage en SU d'ophtalmologie à l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP) et concernait 39 % des patients (voir tableau 4-2-1). C'était un motif plus rare de DSNPO auprès des omnipraticiens (28 %). Il semble donc que ce symptôme inquiète plus les patients, à juste titre, qui consultent plus volontiers à un niveau d'expertise plus élevé. Elle a pour origine le globe ou les tissus péri-oculaires.
Deux structures oculaires sont sensibles : la cornée et l'uvée.
La cornée possède une densité nerveuse sensitive intra-épithéliale estimée à 30 fois celle d'une pulpe dentaire et 300 fois celle de l'épiderme. La sensibilité cornéenne est véhiculée par la branche ophtalmique du nerf V trijumeau. Elle peut être sollicitée par une instabilité épithéliale (érosion récidivante, ulcère), un processus traumatique (ulcère épithélial, corps étrangers, trichiasis, etc.), inflammatoire ou infectieux (kératites).
L'uvée comprend l'iris, le corps ciliaire et la choroïde. Ils peuvent être sollicités par un travail musculaire anormal (accommodation), une compression ou une ischémie (hypertonie, contusion), une inflammation (uvéite, sclérite) ou une infection (uvéite infectieuse, endophtalmie).
Les tissus péri-oculaires sont virtuellement tous possiblement à l'origine de douleurs (peau, paupières, muscles, graisse péri-orbitaire, glande lacrymale, voies lacrymales, tissu nerveux sensitif, nerf optique, vaisseaux). Les douleurs sont alors exacerbées par les mouvements oculaires.
A. PIERRU, A. MOULANA, C. VIGNAL-CLERMONT
La consultation en neuro-ophtalmologie doit être orientée par le motif de consultation aux urgences et les plaintes du patient. L'examen comprend un interrogatoire minutieux, la mesure de l'acuité visuelle corrigée, l'analyse des pupilles, des paupières et de l'oculomotricité, la recherche d'une exo- ou énophtalmie et l'examen oculaire.
À l'issue de cette première étape, le diagnostic peut être posé ou guidé par des examens complémentaires.
L'interrogatoire recherche :
- –
la description précise du symptôme (motif de consultation), la date et les circonstances de survenue ;
- –
la présence de symptômes et signes associés ;
- –
les antécédents médicaux et chirurgicaux personnels et familiaux du patient ;
- –
les traitements en cours, la notion de prise de toxiques (alcool, tabac ou autres), les habitudes de vie (alimentation, profession).
La mesure doit être réalisée après correction et mesurée de loin et de près, selon les modalités précédemment citées (voir le paragraphe « Déroulement de la consultation d'urgence »).
L'examen des pupilles recherche une anisocorie, une anomalie irienne : hétérochromie, ectopie, synéchies iridocristalliniennes, colobome.
Il étudie le réflexe photomoteur (RPM), c'est-à-dire la contraction pupillaire en réponse à l'éclairement de l'œil. Il analyse :
- –
le réflexe photomoteur direct qui survient sur l'œil éclairé et traduit l'intégrité des voies pupillaires afférente et efférente homolatérales ;
- –
le réflexe photomoteur consensuel qui est la contraction de la pupille controlatérale à l'éclairement, et traduit l'intégrité des voies afférente homolatérale et efférente controlatérale ;
- –
le déficit pupillaire afférent relatif (DPAR), appelé également signe de Marcus-Gunn. Il se recherche dans l'obscurité alors que le patient regarde au loin. Il est présent lorsque l'éclairement alterné des deux pupilles provoque un myosis bilatéral en éclairant le côté sain, puis une dilatation paradoxale des deux pupilles lors de l'éclairement de l'œil atteint. Il s'agit d'un examen fiable et sensible orientant vers une asymétrie de la conduction visuelle. Lorsque le fond d'œil est normal, sa présence est en faveur d'une neuropathie optique du même côté, mais il peut se rencontrer lors de l'atteinte d'une bandel ette optique, de certaines pathologies rétiniennes unil atérales ou asymétriques et d'une amblyopie profonde ;
- –
la contraction pupillaire lors de l'accommodation – convergence qui témoigne de l'intégrité de la syncinésie – myosis, accommodation et convergence, et s'étudie en rapprochant un objet du patient.
L'examen des paupières recherche un ptosis ou une rétraction palpébrale et apprécie les muscles orbiculaires.
L'examen de l'oculomotricité permet d'identifier un déficit oculomoteur et localise la lésion responsable (nerf, muscle ou jonction neuromusculaire). Il étudie l'alignement oculaire et les mouvements volontaires (saccades, poursuite) de ductions et versions dans les 9 positions du regard à la recherche des limitations et des hyperactions. En cas de limitation de la verticalité, l'étude des mouvements réflexes (yeux de poupée) recherche une dissociation entre les mouvements volontaires et réflexes.
La pression intra-oculaire est mesurée et un examen du fond d'œil est réalisé. Ce dernier permet l'analyse de la papille optique, notamment sa coloration (pâleur d'une atrophie optique diffuse ou sectorielle, hyperhémie en cas d'œdème), ses bords (flous et surélevés), et de l'excavation papillaire. Il recherche la présence d'hémorragies péripapillaires et des anomalies au niveau de la rétine adjacente.
En fonction du motif d'admission et des données de l'examen clinique, les explorations suivantes peuvent être demandées depuis les urgences.
Le champ visuel peut être étudié par la méthode de la confrontation aux urgences (voir encadré 4-2-3), permettant l'évaluation initiale d'une éventuelle amputation du champ visuel du patient, par :
- –
périmétrie manuelle (sur une grille d'Amsler ou un champ visuel de Goldmann, ce dernier permettant une bonne analyse du champ visuel périphérique) ;
- –
périmétrie statique automatisée pour une meilleure détection des scotomes dans les 30° centraux.
Ces OCT sont surtout utiles en urgence pour détecter la fausse neuro-ophtalmologie et confirmer une anomalie du nerf optique.
Une angiographie rétinienne est demandée en particulier en cas de suspicion de maladie de Horton, à la recherche d'un retard circulatoire choroïdien.
Une IRM est réalisée en urgence pour éliminer une compression – en particulier par un processus vasculaire (anévrisme) –, trouver la cause d'une HIC, ou en cas de trouble visuel transitoire et/ou de suspicion d'AVC.
Devant toute baisse de vision avec examen normal, il faut rechercher (fig. 4-2-41) :
- –
un trouble réfractif méconnu (kératocône), une cataracte débutante, un problème réfractif induit par un désordre métabolique aigu (hyperglycémie) ;
- –
une neuropathie optique rétrobulbaire au stade précoce, où la pâleur papillaire manque, diagnostiquée par la présence d'un DPAR, avec déficit campimétrique homolatéral : inflammatoire (névrite optique rétrobulbaire [NORB]), ischémique, compressive, toxique, héréditaire, carentielle, traumatique ;
- –
une pathologie rétinienne :
- •
dystrophie des cônes : photophobie, héméralopie, pâleur papillaire temporale ;
- •
maladie de Stargardt au stade de début ;
- •
syndrome des taches blanches évanescentes multiples : photopsies, jeune femme d'une trentaine d'années, intérêt de l'imagerie rétinienne multimodale et notamment de l'angiographie au vert d'indocyanine.
- •
- –
une amblyopie : diagnostic orienté par la présence d'une anisométropie, d'un strabisme ; un DPAR est possible en cas d'amblyopie profonde ;
- –
une atteinte paranéoplasique par atteinte rétinienne ou rarement du nerf optique ;
- –
une pathologie chiasmatique ou rétrochiasmatique : AVC ischémique ou hémorragique, tumeur inflammatoire ou traumatique ;
- –
une origine fonctionnelle.
NO : neuropathie optique ; NOIP : neuropathie optique ischémique postérieure aiguë ; NORB : névrite optique rétrobulbaire.
Encadré 4-2-4
Attitude devant une perte visuelle
- 1.
Acuité visuelle avec réfraction
- 2.
réflexe photomoteur à la recherche d'un déficit afférant pupillaire relatif
- 3.
Champ visuel
- 4.
Rétinophotographie couleur, OCT maculaire et du nerf optique, voire angiographie rétinienne
- 5.
Puis selon l'orientation : imagerie cérébrale
- 6.
Potentiel évoqué visuel/électrorétinogramme
- 7.
En cas de doute sur une participation fonctionnelle : test visuel polarisé ou rouge-vert, examen du relief, champ visuel manuel
CBH : syndrome de Claude Bernard-Horner ; CV : champ visuel ; DPAR : déficit pupillaire afférent relatif ; DR : décollement de rétine ; HIV : hémorragie intravitréenne ; HTIC : hypertension intracrânienne ; NVSR : néovaisseau sous-rétinien ; OACR : occlusion de l'artère centrale de la rétine ; OM : œdème maculaire ; OVCR : occlusion de la veine centrale de la rétine.
On estime l'incidence des anomalies visuelles transitoires (classiquement aussi appelées « troubles visuels transitoires ») à environ 0,3 OO des DSNPO en SU d'ophtalmologie.
L'interrogatoire est capital car l'examen est le plus souvent normal.
Il faut d'abord différencier les anomalies visuelles monoculaires des anomalies binoculaires (fig. 4-2-41), et parfois ce n'est pas chose aisée.
Pour cela, un interrogatoire minutieux est indispensable, il faut ;
- –
demander au patient s'il a caché un œil puis l'autre ;
- –
demander au patient s'il a tenté de lire au moment du trouble : la lecture est impossible en cas de trouble binoculaire ;
- –
rechercher la notion de limite verticale de l'anomalie visuelle (respect du méridien vertical) qui oriente vers un déficit hémianopsique.
Il faut déterminer s'il s'agit d'une cécité, d'une baisse visuelle ou d'une anomalie du champ visuel.
HIC : hypertension intracrânienne.
Même si la durée du trouble n'est pas complètement discriminante, on distingue classiquement les anomalies :
- –
très brèves, de l'ordre de la seconde (éclipses) ;
- –
suspectes de mécanisme vasculaire, entre 1 et 60 minutes ;
- –
transitoires, et donc rarement de mécanisme artériel, au-delà de 30 minutes.
Le caractère brutal est en faveur d'un mécanisme vasculaire embolique. Une apparition progressive évoque davantage un phénomène de bas débis. En cas d'anomalies visuelles positives associées aux phénomènes négatifs, une migraine est le plus probable.
Certaines circonstances de survenue peuvent orienter le diagnostic (voir le paragraphe « Anomalie visuelle sur œil calme ») : exposition à une lumière vive, passage en orthostatisme, mouvements oculaires, effort physique, repas, augmentation de la température corporelle.
Il convient de rechercher des céphalées, des vertiges, des troubles neurologiques, une claudication de la mâchoire, etc.
L'examen du fond d'œil après dilatation permet de rechercher des emboles au niveau des artères rétiniennes et des hémorragies périphériques. On doit également prendre la pression artérielle du patient aux deux bras, faire un ECG, un bilan sanguin avec recherche d'un syndrome inflammatoire (vitesse de sédimentation [VS], C-reactive proteine [CRP]) pour éliminer une maladie de Horton.
En cas de suspicion vasculaire, l'imagerie cérébrale injectée est indispensable en urgence avec l'analyse des vaisseaux du cou. Elle permet de rechercher des signes d'AVC constitué passé inaperçu, de dissection ou de sténose des troncs supra-aortiques. En cas de suspicion d'origine vasculaire, le patient doit être transféré vers des urgences neurovasculaires.
II s'agit d'une différence de taille entre les deux pupilles en rapport avec une anomalie d'une des voies pupillaires efférentes sympathique ou parasympathique.
Devant une anisocorie aiguë, l'interrogatoire recherche des symptômes évoquant une urgence neurologique (céphalées, diplopie, troubles visuels transitoires) ainsi que la prise de toxiques. L'examen des pupilles doit évaluer leur forme, leur réactivité à la lumière et à la convergence, et leur dilatation à l'obscurité (fig. 4-2-43) :
- –
la première étape consiste à éliminer une anisocorie physiologique, qui ne dépasse pas 2 mm et ne varie pas selon l'éclairage ;
- –
la deuxième étape doit faire identifier le côté pathologique en examinant les pupilles dans une pièce sombre puis éclairée : la pupille anormale est la moins variable lorsque l'on modifie l'éclairage ;
- –
la troisième étape consiste à éliminer des causes non neurologiques.
L'interrogatoire s'attarde à rechercher l'instillation unilatérale de collyres :
- –
la pilocarpine est responsable d'un myosis ;
- –
le tropicamide et l'atropine sont responsables d'une dilatation.
L'examen clinique recherche une anomalie irienne : rupture traumatique du sphincter de l'iris, rubéose irienne, crise aiguë d'hypertonie oculaire, glaucome pigmentaire.
Il s'agit d'une anomalie de dilatation, qui fera suspecter une atteinte de la voie efférente sympathique. Dans ce cas, l'anisocorie s'associe à un léger ptosis ; c'est le syndrome de Claude Bernard-Horner.
Devant un syndrome de Claude Bernard-Horner isolé, l'urgence est d'éliminer une dissection carotidienne, souvent associée à une douleur en demandant une imagerie des vaisseaux du cou (IRM et angiographie par résonance magnétique ou scanner et angioscanner). L'atteinte peut se situer au niveau de l'apex pulmonaire (cancer du poumon, du cou, schwannome, hernie discale cervicale). Au niveau du sinus caverneux, le syndrome de Claude Bernard-Horner est souvent associé à une atteinte oculomotrice.
Il s'agit d'une anomalie de contraction pupillaire liée à une atteinte de la voie efférente parasympathique qui suit la 3 e paire crânienne.
L'urgence est d'éliminer une paralysie du III avec une atteinte intrinsèque liée à une compression anévrismale. Une mydriase isolée indolore est le plus souvent d'origine pharmacologique ou en rapport avec une pupille d'Adie, qui s'accompagne initialement d'une paralysie accommodative par atteinte de l'innervation du muscle ciliaire et qui disparaît dans 80 % des cas au bout de quelques jours. La pupille d'Adie est typiquement aréactive à la lumière mais se contracte lors de la convergence, cette dissociation pouvant manquer au stade initial. Après quelque temps d'évolution, la pupille d'Adie se contracte à l'instillation de pilocarpine diluée traduisant une hypersensibilité de dénervation.
Le nystagmus est un mouvement oculaire anormal, involontaire et rythmique. Son symptôme est l'oscillopsie lorsqu'il est symptomatique (fig. 4-2-44). Il peut être rapporté par l'entourage. Il est toujours composé d'une phase lente suivie soit par une autre phase lente (nystagmus pendulaire), soit par une phase rapide : c'est le nystagmus à ressort ; la direction de la phase rapide détermine la direction du nystagmus qui peut être horizontale, verticale, torsionnelle ou une combinaison des trois. Il peut être :
- –
congénital : souvent dans le cadre de malvoyance que nous ne détaillerons pas ici, c'est le nystagmus infantile. Il n'y a pas de caractère d'urgence ;
- –
acquis : il s'agit d'un motif rare de consultation aux urgences, à l'origine d'oscillopsies décrites par le patient comme une instabilité de l'environnement.
L'oscillopsie est souvent absente chez les patients qui présentent un nystagmus infantile. Le nystagmus résulte :
- –
soit d'un déficit des voies afférentes vestibulo-oculomotrices ;
- –
soit d'une perte des effets inhibiteurs normaux sur le système oculomoteur ;
- –
soit d'une inaptitude du maintien de la fixation.
Li : lithium ; OH : alcool.
L'interrogatoire et examen clinique permettent de :
- –
faire préciser le caractère acquis ou congénital du nystagmus ;
- –
rechercher des signes neurologiques associés : vertige, ataxie, faiblesse musculaire ou atteinte sensitive ;
- –
rechercher une prise de médicaments (lithium) ou de toxiques (alcool) ;
- –
caractériser l'atteinte : monoculaire ou binoculaire, conjuguée ou non, direction, présence dans les positions du regard, phases des mouvements anormaux ;
- –
différencier un nystagmus d'intrusions saccadiques composées uniquement de phases rapides.
À l'issue de l'interrogatoire et de l'examen clinique, on peut définir les différents types de nystagmus et d'intrusions saccadiques détaillés dans le chapitre 5.3.9 .
La diplopie est la vision double d'un seul objet. La première étape consiste à différencier diplopie binoculaire et diplopie monoculaire. La diplopie monoculaire persiste à l'occlusion d'un des deux yeux. Elle est secondaire à une pathologie oculaire non urgente : atteinte de la surface oculaire, troubles réfractifs, anomalie cristallinienne ou rétinienne (membrane épirétinienne). La diplopie binoculaire survient les deux yeux ouverts et disparaît à l'occlusion d'un des deux yeux. Elle traduit l'absence de parallélisme entre les deux globes oculaires et peut résulter d'une :
- –
atteinte neurogène centrale ou périphérique ;
- –
anomalie de la jonction neuromusculaire ;
- –
atteinte myogène ;
- –
autre cause non paralytique : insuffisance de convergence/divergence, décompensation phorique.
En cas de diplopie binoculaire, la seconde étape consiste, aux moyens de l'interrogatoire et de l'examen clinique, à localiser la lésion et suspecter un diagnostic.
L'interrogatoire permet de noter le caractère permanent ou intermittent de la diplopie et de rechercher des symptômes évoquant une pathologie urgente :
- –
une céphalée brutale ou inhabituelle associée à une paralysie oculomotrice du III extrinsèque et intrinsèque ou une paralysie du III extrinsèque partielle doit faire éliminer un anévrisme intracrânien et une apoplexie hypophysaire ;
- –
les symptômes de la maladie de Horton doivent être recherchés chez toute personne âgée de plus de 50 ans avec une paralysie oculomotrice même transitoire : céphalées, claudication de la mâchoire, prurit ou brÛlures du cuir chevelu, douleurs articulaires des grands troncs ;
- –
une variabilité de la diplopie, majorée à l'effort, évoque une myasthénie.
L'examen clinique permet de suspecter voire d'identifier le siège de la lésion et recherche des signes neurologiques associés.
Une telle atteinte impose la réalisation d'une IRM cérébrale en urgence.
La skew deviation entraîne une diplopie verticale ne répondant pas aux lois de Hering et Sherrington (synergie d'action entre muscles oculomoteurs). Elle est parfois difficile à différencier d'une paralysie du IV ; la manœuvre de Bielchowsky, positive en cas de paralysie du IV, et l'œil le plus haut en incyclotorsion dans la skew deviation permettent de faire la différence.
L 'ophtalmologie internucléaire entraîne une diplopie dans le regard latéral opposé à la lésion. L'examen retrouve une limitation de l'adduction homolatérale, une conservation de la convergence et un nystagmus en abduction sur l'œil opposé. Les deux causes les plus fréquemment retrouvées dans ce type d'atteinte sont la sclérose en plaques et l'AVC ischémique.
Cette atteinte est souvent associée à d'autres signes neurologiques par atteinte de structures de voisinage : faisceau pyramidal avec hémiplégie controlatérale par exemple, à explorer en urgence en imagerie.
- –
Paralysie du III : elle entraîne une limitation à l'adduction et, dans sa forme complète, l'élévation et l'abaissement du côté atteint avec ptosis et mydriase. Devant tout III complet (avec mydriase) ou III extrinsèque douloureux, il faut rechercher un anévrisme intracrânien, et l'imagerie en urgence s'impose. Chez la personne âgée, il faut penser à faire une VS, CRP à la recherche d'une maladie de Horton ;
- –
Paralysie du IV : elle est responsable de diplopie verticale ou oblique. Un traumatisme est souvent en cause, cependant une maladie de Horton doit être recherchée chez le sujet âgé ;
- –
Paralysie du VI : elle entraîne une limitation à l'abduction du côté atteint avec diplopie horizontale. Elle peut traduire une lésion sur le trajet du VI ou être associée à une HIC ou une irritation méningée ; une maladie de Horton doit être recherchée chez le sujet âgé ;
- –
Atteinte de plusieurs nerfs oculomoteurs au niveau du sinus caverneux et de la fissure orbitaire supérieure : l'imagerie cérébrale et orbitaire permet de poser le diagnostic.
- –
Myasthénie oculaire généralisée : souvent associée à un ptosis variable avec faiblesse des orbiculaires.
Il s'agit des :
- –
affections orbitaires, parfois associées à une exophtalmie ;
- –
pathologies musculaires.
L'interrogatoire et l'examen du patient qui consulte aux urgences pour une diplopie binoculaire permettent le plus souvent de localiser l'atteinte dont la nature sera précisée par les explorations complémentaires (voir chapitre 6 ).
La découverte d'une papille saillante lors d'une consultation aux urgences impose une démarche diagnostique rigoureuse (fig. 4-2-45). Les symptômes associés sont importants, en particulier l'existence ou non d'une anomalie visuelle, ainsi que l'âge du patient et le caractère uni- ou bilatéral de l'œdème.
HIC : hypertension intracrânienne ; HTA : hypertension artérielle ; IRM : imagerie par résonance magnétique ; LCS : liquide cérébrospinal ; OP : œdème papillaire.
Devant un œdème papillaire bilatéral isolé, on évoque d'emblée l'œdème papillaire de stase d'une HIC. Il est plus rare qu'un œdème papillaire bilatéral soit en rapport avec une neuropathie optique bilatérale. Dans ce cas, il y a presque toujours une altération de la vision.
Le diagnostic différentiel se pose essentiellement avec les faux œdèmes papillaires : drusen papillaires ou faux œdème de l'hypermétrope.
L'interrogatoire recherche les signes d'HIC : céphalées, éclipses visuelles, acouphènes pulsatiles ou non, diplopie, nausées. Les antécédents familiaux, tels qu'une coagulopathie ou une maladie de Behçet, doivent faire rechercher une thrombose des veines cérébrales en IRM avec des séquences veineuses.
L'examen clinique permet de rechercher des signes associés à l'œdème :
- –
la présence d'hémorragies en tache avec croisements artérioveineux pathologiques et nodules cotonneux péripapillaires oriente vers une HTA maligne et impose la mesure de la pression artérielle ;
- –
la présence d'une uvéite antérieure, d'une hyalite, d'une vascularite ou d'une choroïdite oriente vers une neuropathie optique bilatérale d'origine inflammatoire. Cela nécessite un bilan d'uvéite et avis spécialisé en médecine interne.
Il s'agit dans la grande majorité des cas d'une neuropathie optique unilatérale qui s'accompagne presque toujours d'une baisse visuelle plus ou moins profonde et d'une anomalie campimétrique et de la vision des couleurs. Elle s'associe toujours à la présence d'un DPAR homolatéral.
L'interrogatoire et l'examen clinique permettent de recherche la cause :
- –
névrite optique : âge jeune, douleurs péri-oculaires, antécédents de sclérose en plaques, sarcoïdose, maladie de Lyme ;
- –
neuropathie optique ischémique : âge supérieur à 50 ans, signes ou antécédents de maladie de Horton, facteurs de risque vasculaire, papille controlatérale pleine ;
- –
neuropathie optique compressive/infiltrative : suspectée devant la présence d'antécédents de cancer, devant la présence d'une exophtalmie ou d'ophtalmoplégie.
C. BELA, E. TUIL
L'exophtalmie se définit par une protrusion du globe oculaire de l'orbite. Elle peut être unilatérale ou bilatérale. Elle constitue un motif rare de consultation à elle seule (0,1 %) [2]. Elle est accompagnée ou non de symptômes associés : douleur, rougeur, anomalie visuelle, diplopie.
Pour caractériser une exophtalmie, il faut éliminer une pseudo-exophtalmie. Ses étiologies sont : une énophtalmie controlatérale, une rétraction palpébrale homolatérale, un globe oculaire saillant.
Les causes d'énophtalmie controlatérale sont multiples. Dans le contexte de l'urgence, il convient d'éliminer une fracture du plancher orbitaire. Hors urgence, elle peut être liée à une varice orbitaire, une tumeur orbitaire rétractile ou un syndrome du sinus silencieux.
Les rétractions palpébrales sont caractérisées par une fente palpébrale augmentée par rapport au côté controlatéral. De plus, le niveau de la paupière supérieure est situé au limbe ou plus haut que le limbe marquant alors ce qu'on appelle un scleral show. Cette rétraction peut être la conséquence d'une dysthyroïdie , associée ou non à une orbitopathie basedowienne. Dans ce contexte, l'urgence est celle d'une crise thyréotoxique avec rétraction inflammatoire. Le bilan sanguin – avec dosage de la thyroid stimulating hormone (TSH), la thyroxine (T4) et des anticorps antirécepteurs de la TSH (TRAK) – et le bilan morphologique orbitaire orientent le diagnostic.
La rétraction cicatricielle fibrotique n'est pas une urgence.
Il existe également des rétractions palpébrales secondaires a une infiltration du muscle releveur de paupière par une tumeur primitive comme le lymphome ou secondaire (métastase) qui ne constituent pas des urgences proprement dites mais nécessitent une orientation d'aval filiarisée dans des délais courts.
Enfin, une rétraction palpébrale supérieure associée à un entropion de paupière inférieure peut exposer la surface oculaire et constituer une urgence de triage 5 (voir chapitre 2.5.3 ). Elle s'associe souvent à une paralysie faciale périphérique.
La paralysie faciale périphérique est d’origine soit :
– unilatérale du haut du visage : fermeture incomplète de l’oeil ou lagophtalmie avec signe de Charles-Bell et effacement des rides du front ;
– centrale, s’il existe en plus un effacement du pli nasogénien, une chute de la commissure labiale, une impossibilité de siffler ou de gonfler les joues, une attraction de la bouche du côté sain lors du sourire.
Un globe oculaire saillant unilatéral peut être le signe d'une buphtalmie, secondaire à un glaucome congénital. Il s'agit d'une semi-urgence obstétricale ou d'une urgence pédiatrique. Ce peut être un item non urgent, par exemple une forte anisométropie avec un œil myope fort et une exophtalmie secondaire confirmée au scanner, ou « syndrome de l'œil lourd ».
Une fois le diagnostic de pseudo-exophtalmie éliminé, il faut évaluer cliniquement l'urgence de l'exophtalmie. Les exophtalmies ont un degré d'urgence variable, qui peut évoluer dans le temps chez un patient donné (encadré 4-2-5). Nous n'évoquons pas ici les exophtalmies chroniques non urgentes.
Encadré 4-2-5
Exophtalmies urgentes
-
Traumatiques avec composante vasculaire
-
Infectieuses
-
Inflammatoires non infectieuses
-
Compressives (nerf optique, vaisseaux et autres nerfs intraconiques)
-
Compliquées d'exposition cornéenne ulcérée, de diplopie aiguë
Les causes inflammatoires d'une exophtalmie sont les plus fréquentes et engendrent parfois des complications nécessitant une prise en charge en urgence pour éviter les neuropathies optiques compressives ou les ulcères cornéens secondaires L'examen clinique et paraclinique en urgence a pour but d'éliminer ces complications mettant en jeu le pronostic visuel et d'évaluer le point de départ inflammatoire : sac lacrymal dans les cellulites sur dacryocystite aiguë, muscle dans les myosites, glande lacrymale dans les dacryoadénites ou les lymphomes, maladie systémique dysimmunitaire dans les orbitopathies dysthyroïdiennes ou le syndrome d'immunoglobulines de type G4 (IgG4) ou par élimination orbitopathies inflammatoire non spécifiques. Les causes non inflammatoires sont plus rarement associées à des complications urgentes et, hormis la fistule carotidocaverneuse post-traumatique, peuvent bénéficier d'une consultation initiale avec exploration secondaire. Les étiologies non inflammatoires donnent une exophtalmie généralement indolore, sans chémosis ni œdème palpébral.
Les étiologies non inflammatoires d’une exophtalmie peuvent être liées à une orbitopathie dysthyroïdienne séquellaire, unetumeur du nerf optique (gliome, méningiome), une tumeur (adénome pleïomorphe, cylindrome) et aux parois orbitaires osseuses (dysplasie osseuse fibrosante, méningiome de la grande aile du sphénoïde), aux muscles oculomoteurs (lymphome, métastase), aux structures vasculaires de l’orbite (hémangiome caverneux, hémolymphangiome kystique, varices orbitaires, hémangiome capillaire, malformation artérioveineuse).
À l'anamnèse, on caractérise une exophtalmie uni- ou bilatérale, la présence de rougeur, de douleur, de sécrétions purulentes, d'œdème palpébral, d'anomalie visuelle et de diplopie. On recherche une orientation étiologique qui distingue l'urgence, la semi-urgence ou l'absence d'urgence. Pour cela, on interroge sur la présence d'antécédents de maladie thyroïdienne, neurologique, de pathologies sinusiennes, de cancer, d'antécédents familiaux et la notion d'une éventuelle porte d'entrée (intervention dentaire, sinusite récente, traumatisme direct ou indirect).
On s'attache à caractériser l'exophtalmie (traumatique vasculaire, inflammatoire ou infectieuse) et identifier ses complications (compression, ulcère) pour orienter vers une urgence (fig. 4-2-46). On élimine une affection chronique non compliquée.
Anticorps anti-R-Ach : anticorps antirécepteurs à l'acéthylcholine (myasthénie) ; BO : bilan orthoptique ; DPAR : déficit afférant pupillaire relatif ; IRM : imagerie par résonance magnétique ; T3 : tri-iodothyronine ; T4 : thyroxine ; TDM : tomodensitométrie ; TSH : thyroid stimulating hormone.
Après l'anamnèse, l'inspection caractérise subjectivement l'exophtalmie. Elle demande au patient de pencher la tête en arrière en regardant le plafond et analyse la projection du sommet d'un globe par rapport à l'autre. La caractérisation objective n'est pas impérative en urgence. Elle utilise l'exophtalmomètre de Hertel. Il quantifie le degré de protrusion des globes (fig. 4-2-47). Une exophtalmie se définit comme une protrusion supérieure à 22 mm ou une asymétrie de plus de 2 mm entre chaque côté.
a. Vue de dessus. b. Vue de face. L'appui doit être positionné sur les deux rebords osseux des canthi externes pour que la mesure soit valide (tête de flèche blanche). La mesure est lue à l'aplomb de l'apex cornéen dans le miroir latéral (flèche rouge).
Les exophtalmies les plus urgentes sont liées :
- –
à une neuropathie optique compressive ou une exposition cornéenne avec une ulcération et un risque de perforation cornéenne. Elles requièrent une prise en charge médicale adaptée en triage 3 et une intervention chirurgicale sans délai avec un traitement en triage 4 (voir chapitre 2.5.3 ).
- –
aux causes inflammatoires aiguës et infectieuses. Elles peuvent être rapidement évolutives.
L'examen identifie en priorité une inflammation, une infection ou une carcinose. Il oriente sur la localisation de l'atteinte pour évaluer un risque de neuropathie optique compressive ou extraconique.
Pour mettre en évidence une complication, l'examen quantifie une baisse d'acuité visuelle et une douleur (ulcère cornéen, compression nerveuse). Il recherche un DPAR homolatéral (neuropathie optique compressive), des signes d'exposition cornéenne (KPS inférieure ou centrale, aire cornéenne fluo-positive), un œdème ou une pâleur papillaire (compression du nerf optique) plus ou moins associés à des hémorragies en flammèches (caractère récent aigu) (tableau 4-2-6). La présence d'un chémosis oriente vers une exophtalmie inflammatoire. La présence de sécrétions purulentes est un signe infectieux. Une kératoconjonctivite limbique supérieure oriente vers une dysthyroïdie et renseigne sur le caractère urgent de la prise en charge.
Signe physique | Complication possible |
---|---|
Lagophtalmie | Ulcère cornéen d'exposition |
Œdème papillaire/pâleur papillaire | Compression du NO |
Hémorragies péripapillaires en flammèches | Compression aiguë du NO |
Hypertonie oculaire | Compression aiguë du NO |
Aire cornéenne avec test à la fluorescéine positif | Ulcère cornéen d'exposition |
Signe de Seidel positif | Perforation d'un ulcère cornéen d'exposition |
Signes fonctionnels | |
Anomalie visuelle avec DPAR | Compression du NO |
Inflammation douloureuse/évolution rapide | Propagation infectieuse, compression du NO |
Sécrétions purulentes, douleurs | Exophtalmie infectieuse évolutive |
Inflammation, rétraction paupière, diplopie | Crise thyréotoxique, ophtalmoplégie dysthyroïdienne |
Une exophtalmie axile qui expose le nerf optique à une compression en cas de processus orbitaire intraconique :
- –
est non pulsatile et non réductible pour les causes tumorales ;
- –
est non pulsatile et réductible pour les causes inflammatoires et infectieuses ;
- –
limite l'oculomotricité avec diplopie en cas d'infiltration sélective d'un muscle ;
- –
est ophtalmoplégiante complète en cas d'atteinte multiple ou d'infiltration de la fissure orbitaire.
Une exophtalmie non axile ou dystopie liée à un processus extraconique engendre une paupière en S. Le globe est en règle dévié en direction opposée à la lésion. Par exemple, la dystopie est inférieure en cas d'affection de la glande lacrymale.
Les étiologies inflammatoires donnent une atteinte diffuse avec chémosis douloureux et œdème palpébral. Elles peuvent être liées à une cellulite orbitaire, une orbitopathie dysthyroïdienne, une myosite, une dacryoadénite, une orbitopathie inflammatoire non spécifique.
Lorsque le diagnostic d'exophtalmie est confirmé, un bilan d'imagerie est nécessaire et systématique à visée étiologique. Il identifie un processus occupant l'espace orbitaire expansif, des signes de gravité comme une neuropathie optique compressive, ou la présence d'un abcès sous-périosté compliquant une cellulite orbitaire. Un scanner orbitaire avec séquence osseuse et tissulaire ou, au mieux, une IRM orbitaire injectée au gadolinium (précisant l'atteinte des parties molles) sont demandés au cours d'une consultation exploratoire d'urgence. Les varices orbitaires sont mieux visualisées sur l'IRM en proclive ou sur l'échographie Doppler orbitaire.
Une limitation de l’oculomotricité associée à une diplopie est objectivée au mieux par un bilan orthoptique (déviométrie, test de Hess-Weiss ou test de Lancaster) pour localiser le déficit, en l’absence de facteur de gravité ou de complication.
L'énophtalmie se définit cliniquement par un enfoncement anormal de l'œil dans l'orbite. Elle peut être unilatérale ou bilatérale. Il s'agit d'un symptôme motivant une DSNPO encore plus rarement que l'exophtalmie. Elle peut être accompagnée des mêmes symptômes associés que l'exophtalmie. Dans un contexte d'urgence traumatique, une fracture du plancher doit être évoquée en priorité.
Affirmer l'énophtalmie nécessite d'éliminer les pseudo-énophtalmies. Elles se définissent par : une exophtalmie controlatérale, un ptosis palpébral homolatéral – mécanique, involutionnel, neuro-ophtalmologique, une atrophie du globe ou une phtyse.
Une pseudo-énophtalmie peut prendre la forme : d’une exophtalmie controlatérale inflammatoire (cellulite orbitaire, orbitopathie dysthyroïdienne, orbitopathie inflammatoire spécifique ou non spécifique) ; d’une exophtalmie non inflammatoire (par orbitopathie dysthyroïdienne ou prédisposition constitutionnelle) ; ou d’une exophtalmie tumorale de toutes les structures présentes dans l’orbite (lymphome orbitaire, adénome pléomorphe des glandes lacrymales, etc.).
La phtyse du globe oculaire se caractérise par une réduction de la taille du globe avec rétraction de sa paroi et modification des tissus internes. Dans l’atrophie du globe, la réduction de la taille du globe préserve l’architecture tissulaire oculaire.
Les causes d'énophtalmie qui peuvent motiver une DSNPO sont :
- –
en contexte traumatique, la fracture du plancher orbitaire. C'est le diagnostic le plus fréquemment rencontré aux urgences. On observe des signes indirects de traumatisme orbitaire : hématome palpébral, œdème palpébral, emphysème sous-cutané, hypoesthésie sur la région du trijumeau V2 (aile du nez, joue), limitation douloureuse de l'oculomotricité associée ou non à une diplopie ;
- –
hors contexte traumatique récent :
- •
des varices orbitaires. Elles peuvent être visibles et déclenchées cliniquement par une manœuvre de Valsalva. Cela peut motiver une DSNPO, mais ne constitue pas un item d'urgence. Cette variation répétée de volume orbitaire provoque une atrophie de la graisse orbitaire aboutissant à une énophtalmie. Les explorations adaptées, hors contexte d'urgence, sont l'IRM en proclive et l'échographie dynamique ;
- •
une tumeur rétractile rétro-oculaire. Il s'agit alors fréquemment d'une énophtalmie douloureuse, d'où la DSNPO. Les tumeurs responsables sont généralement des métastases secondaires. La tumeur primitive à rechercher est un cancer du sein chez la femme ;
- •
un silent sinus syndrome. Il s'agit d'une énophtalmie progressive et non urgente. L'énophtalmie progressive peut parfois être associée à une sensation de pesanteur jugale, une diplopie et une vision trouble. Elle débute à l'âge adulte. Il s'agit d'un effondrement dégénératif de l'une ou de plusieurs parois du sinus. Le diagnostic se fait hors contexte d'urgence par scanner avec reconstructions coronales, révélant un effondrement de la(des) paroi(s) du sinus maxillaire, avec ou sans rétention de mucus dans la cavité sinusienne. L'orifice du sinus maxillaire est obstrué car le processus unciforme est apposé à la paroi orbitaire inféro-médiale. La région du méat moyen est élargie.
La prévalence du silent sinus syndrome est inconnue mais une centaine de cas a été rapportée dans la littérature à ce jour. Les patients ont parfois eu par le passé des sinusites à répétition. Ce syndrome peut être idiopathique ou survenir à la suite d’une décompression orbitaire ou d’une fracture du plancher orbitaire. Le mécanisme en jeu est lié à l’obstruction de l’aération du sinus maxillaire entraînant une pression négative dans le sinus. Cette pression négative pourrait être causée par les mouvements de mastication.
- •
À l'anamnèse, on caractérise l'énophtalmie – unilatérale ou bilatérale – et les symptômes associés (douleur, anomalie visuelle ou diplopie).
L'orientation étiologique est précisée par les antécédents : traumatisme orbitaire ou décompression orbitaire ; sinusites chroniques ; tumeurs carcinologiques (notamment néoplasie du sein).
Le diagnostic d'énophtalmie est fondé sur une mesure subjective à l'inspection en demandant au patient de pencher la tête en arrière en regardant le plafond et en analysant la projection du sommet d'un globe oculaire par rapport à l'autre. La mesure est objectivée à l'exophtalmomètre de Hertel (différence relative entre les deux yeux supérieure ou égale à 2 mm, par définition en valeur absolue). S'il n'est pas disponible en urgence, l'examen peut se faire la tête penchée en arrière avec analyse de la protrusion des globes en jour frisant. L'orientation vers un item d'urgence recherche le caractère aigu, traumatique, vasculaire ou tumoral (fig. 4-2-48). Les énophtalmies chroniques ou dégénératives sont orientées vers un aval spécialisé.
DPAR : déficit afférent pupillaire relatif ; TDM : tomodensitométrie.
En consultation d'urgence, on recherche des facteurs de gravité :
- –
un œdème papillaire (neuropathie optique associée compressive) ;
- –
une hypertonie (cause compressive rétro-oculaire) ;
- –
une anomalie de l'oculomotricité avec notamment une limitation dans le regard supérieur/inférieur et une diplopie (fracture du plancher orbitaire avec incarcération du muscle droit inférieur) ;
- –
un DPAR (processus rétractile lésant le nerf optique comme une masse tumorale) ;
- –
une rétraction palpébrale pouvant être associée à une infiltration du complexe releveur et muscle droit supérieur (tumeur).
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Examen orthoptique complet avec test de Hess-Weiss ou test de Lancaster : il quantifie une limitation de l'oculomotricité associée à une diplopie, particulièrement dans le contexte d'un traumatisme orbitaire.
- –
Scanner orbitaire : à visée étiologique, il est demandé en première intention dans tous les cas d'énophtalmie, au cours d'une consultation exploratoire s'il existe des facteurs de gravité. Il comprend des séquences osseuses associées et des coupes passant par le sinus maxillaire. Il objective une fracture des parois orbitaires, un processus orbitaire tumoral rétractile orientant vers une métastase de cancer du sein (surtout si antécédents carcinologiques), une atrésie du sinus maxillaire.
- –
Scanner avec injection de produit de contraste en décubitus et procubitus ou échographie Doppler couleur orbitaire : ils sont demandés en aval de l'urgence si le scanner orbitaire s'avère normal et que la manœuvre de Valsalva est positive. Ils objectivent la présence d'une varice orbitaire.
Le larmoiement représentait 4 % des symptômes des DSNPO des SU d'ophtalmologie de Paris intramuros en 2016 [2]. La gravité de ce motif de consultation réside dans son association à une infection des voies lacrymales et, plus particulièrement, du sac lacrymal. Une dacryocystite peut alors évoluer vers une cellulite pré- ou rétroseptale. Le signe pathognomonique à rechercher est celui d'un larmoiement purulent. En ville, le larmoiement représentait 54 % des DSNP chez les médecins généralistes dans l'étude angevine des omnipraticiens (voir chapitre 2.4 ). Il s'agissait alors du motif principal de consultation dans trois quarts des cas. La cause du larmoiement était là aussi principalement la conjonctivite (82 % des cas), infectieuse (67 %) ou allergique (16 %). Le mécanisme du larmoiement a schématiquement trois origines :
- –
production excessive de larmes primitives ;
- –
production excessive de larmes réactionnelles ;
- –
anomalie d'évacuation des larmes (malposition, sténose des voies excrétrices). L'évacuation est obérée par une obstruction présaccale, responsable de canaliculite, ou post-saccale avec dacryocystite aiguë. La gravité de cette dernière réside dans le risque d'évolution vers une cellulite pré- ou rétroseptale. Le signe pathognomonique à rechercher est celui d'un larmoiement purulent.
En 2016, dans les SU d'ophtalmologie parisiennes, le larmoiement était un symptôme aigu recensé chez 4 % des patients présentant une DSNPO, mais sÛrement présent chez un grand nombre d'autres patients non recensés. La moitié correspondait à un diagnostic final de conjonctivite. Les autres causes étaient les causes cornéennes incluant les corps étrangers cornéens : KPS (12 %), ulcères cornéens (7 %), autres affections cornéennes non infectieuses (10 %). Ensuite venaient les anomalies palpébrales aiguës (4 %), les kératites infectieuses (2 %) ainsi que 16 autres items d'urgence (≤ 2 %).
L'examen recherche en priorité les causes infectieuses et traumatiques (corps étranger) de larmoiement les plus fréquentes.
L'anamnèse s'assure du caractère aigu justifiant une prise en charge en urgence. On interroge sur l'ancienneté du larmoiement, le facteur déclencheur s'il existe, le côté unilatéral ou bilatéral, le type de larmoiement (clair, purulent ou hémorragique).
L’anamnèse élimine un larmoiement de prise en charge non urgente en recherchant un antécédent de chirurgie palpébrale, une notion de traumatisme avec corps étrangers palpébraux, un antécédent de pathologie conjonctivale fibrosante (trachome ancien, conjonctivite chronique, etc.), une rosacée, une malformation congénitale, une prématurité, un accouchement avec forceps, un larmoiement dès la naissance, un antécédent de traumatisme ORL, de chirurgie ORL, de sinusite chronique, de dacryocystite. Elle s’enquiert du traitement médical général et local. À l’anamnèse, on recherche également une séquelle de paralysie faciale. Dans ce cas, il faut compléter l’examen des paupières en mesurant la fente palpébrale, en recherchant une laxité horizontale et verticale. Cette mesure permet de révéler un ectropion ou d’objectiver une lagophtalmie à la fermeture des paupières, ainsi qu’une rétraction palpébrale supérieure.
L'examen ophtalmologique recherche la présence d'un corps étranger sous-palpébral (fig. 4-2-49) en éversant les paupières supérieures et inférieures, analyse les paupières avec l'orientation des cils, recherche un trichiasis ou un districhiasis, une malposition palpébrale avec ectropion clinique ou infraclinique par faiblesse de l'orbiculaire et de la pompe lacrymale, une inflammation palpébrale par blépharite, une sténose des méats lacrymaux.
L'examen à la lampe à fente recherche une cause non mécanique au larmoiement (fig. 4-2-50). Il peut s'agir d'une inflammation, d'une infection, d'une irritation (corps étranger), d'un trouble des milieux (photophobie associée). L'examen s'attarde sur la conjonctive, la présence de papilles ou de follicules associés au larmoiement signant une conjonctivite. Son délai de survenue renseigne sur le caractère aigu. Le test à la fluorescéine observe le ménisque lacrymal et le marquage conjonctivocornéen. Une rivière lacrymale augmentée uni- ou bilatérale après clignement oriente vers un obstacle à l'évacuation lacrymale physiologique. En l'absence de conjonctivite, le test à la fluorescéine recherche un conjonctivochalasis par excédant de conjonctive obstruant le méat lacrymal.
PF : paralysie faciale.
Après avoir éliminé des causes locales du larmoiement, on examine les voies lacrymales. On recherche une tuméfaction inflammatoire en regard du sac lacrymal inflammatoire. Elle est douloureuse à la palpation dans le cas d'une dacryocystite aiguë, mais indolore et non inflammatoire si la dacryocystite aiguë ou le dacryocèle sont liés à une obstruction post-saccale.
Attention ! Une tuméfaction au-dessus de la ligne canthale interne est évocatrice d'un encéphalocèle et non d'un dacryocystocèle. De plus, un larmoiement hémorragique est une tumeur des voies lacrymales jusqu'à preuve du contraire.
Si l'anamnèse ou l'examen clinique ne suffisent pas à orienter le diagnostic et la prise en charge dans le contexte d'urgence, il est possible de pratiquer :
- –
un sondage des voies lacrymales. Il est strictement contre-indiqué en cas de contexte infectieux. Aux urgences, devant un larmoiement purulent, l'exploration de voies lacrymales est donc exclue. En revanche, devant un larmoiement clair, on utilise un dilatateur de méat lacrymal dans le cas de sténose méatique, puis une sonde à voie lacrymale. On objective une sténose du canalicule inférieure ou supérieure et du canal d'union. Le contact osseux est absent en cas de pathologie présascale. Après obtention du contact osseux, on pratique un lavage des voies lacrymales par le canalicule, au sérum physiologique avec une canule à voie lacrymale mousse. Le lavage permet de s'assurer que le passage normal dans les fosses nasales est signalé par le patient, signant leur perméabilité. En cas d'obstruction post-sacale, le sondage peut être douloureux et on note un reflux du produit par le méat supérieur opposé ;
- –
un test de Schirmer supplémentaire : il met en évidence une sécheresse oculaire vraie lorsqu'une kératite s'associe au larmoiement clair ;
- –
une tomodensitométrie (TDM) : elle est demandée en cas de contexte infectieux. Elle permet le diagnostic de dacryocystite aiguë. Elle est réalisée aux urgences en consultation exploratoire pour confirmer le diagnostic. Elle recherche des signes de gravité de cellulite préseptale ou rétroseptale, d'abcès sous-périosté ou de pathologie sinusienne associée ;
- –
un dacryoscanner : il explore un problème mécanique par sténose ou obstruction des voies lacrymales. Il est demandé en consultation d'orientation, sans urgence. Il opacifie le tractus lacrymal et met en évidence le niveau lésionnel du problème obstructif.
L'œdème palpébral est un gonflement de la paupière par accumulation anormale de liquide dans le tissu sous-cutané. Son caractère urgent réside dans l'association à un tableau inflammatoire ou infectieux avec risque de progression locorégionale vers le compartiment rétroseptal orbitaire.
Il convient de différencier l'œdème palpébral d'un excès cutané (dermatochalasis) ou d'une tumeur palpébrale (lymphome, infiltration lymphomateuse, hémangiome capillaire, tissus dermoïde).
L'anamnèse définit le délai de survenue, la présence d'un facteur déclenchant, d'un facteur aggravant ou d'un facteur d'amélioration. Elle précise également la latéralité, un facteur épisodique récurrent. Dans le contexte d'une consultation d'urgence, elle vérifie le caractère aigu. Les symptômes fréquemment associés sont recherchés (fig. 4-2-51) : rougeur, brÛlure, prurit, douleur oculaire, anomalie visuelle. L'orientation étiologique est précisée par la notion d'un contage, d'un antécédent d'infection herpétique, d'un traumatisme récent, d'un terrain atopique, d'un allergène.
IRM : imagerie par résonance magnétique ; TDM : tomodensitométrie.
À l'examen, on analyse les paupières en lumière diffusée.
Devant des signes inflammatoires (rougeur, chaleur et douleur), le diagnostic est orienté en priorité vers une infection : orgelet avec parfois fistulisation à la peau, blépharite herpétique avec notion de vésicule en bouquet sur la surface cutanée, chalazion débutant à sa phase inflammatoire. Lorsqu'il existe un œdème diffus douloureux des paupières supérieures et inférieures, on évoque le diagnostic de cellulite préseptale. Il convient alors de rechercher une porte d'entrée cutanée par la recherche d'un traumatisme cutané, d'un corps étranger ou d'une excoriation cutanée. Lorsqu'il existe un chémosis associé à l'œdème diffus, on suspecte une cellulite rétro-septale orbitaire (voir plus haut le paragraphe « Exophtalmie »). Un œdème localisé du tiers externe de la paupière supérieure, décrit comme une « paupière en S », est évocateur d'une pathologie des glandes lacrymales inflammatoire ou dacryoadénite.
Un prurit associé fait évoquer une origine allergique. L'examen à la lampe à fente de la conjonctive recherche des papilles ou follicules en éversant le tarse palpébral supérieur. Ils signent une conjonctivite infectieuse ou allergique. Cette manœuvre élimine aussi un facteur d'irritation local tel qu'un corps étranger. Plus rarement, le prurit associé révèle une infection parasitaire de type phtiriase ciliaire ou par Ixodidae (fig. 4-2-52).
En l'absence de signes inflammatoires, dans un contexte traumatique, le diagnostic s'oriente vers un lymphœdème post-traumatique. Hors contexte de traumatisme, l'œdème palpébral spontané, transitoire et fluctuant oriente vers un blépharochalasis ou un œdème palpébral diffus idiopathique qui sortent du cadre de l'urgence.
Seule la cellulite orbitaire justifie la réalisation d'un examen complémentaire devant un œdème palpébral. On pratique un scanner ou une IRM orbitaire au sein d'une consultation exploratoire. Il objective le degré d'extension de la cellulite, documente le caractère infectieux, identifie la porte d'entrée, recherche un corps étranger et définit le point de départ d'une pathologie orbito-palpébrale inflammatoire. Il permet la prise en charge urgente.
Dans un premier temps, il s'agit d'éliminer un pseudo-ptosis. Celui-ci correspond à une énophtalmie homolatérale, une rétraction palpébrale supérieure controlatérale ou une exophtalmie controlatérale. Après avoir confirmé le diagnostic de ptosis, il convient de rechercher les causes urgentes, notamment neurogènes ou neurovasculaires, engageant le pronostic vital même : parésie du III (centrale ou périphérique, compressives ou ischémiques), syndrome de Claude Bernard-Horner (dissection carotidienne), fistule carotidocaverneuse dans un contexte traumatique. On examine donc les pupilles en recherchant une anisocorie et on analyse avec précaution les paires crâniennes (fig. 4-2-53).
ARM : angiographie par résonance magnétique ; CBH : syndrome de Claude Bernard-Horner ; CRP : C-reactive protéine ; HSV : herpes simplex virus ; IRM : imagerie par résonance magnétique ; TDM : tomodensitométrie ; TSA : troncs supra-aortiques ; VS : vitesse de sédimentation ; VZV : virus zona-varicelle.
Un ptosis est défini comme une diminution de fente palpébrale liée à une paupière supérieure trop basse. Il peut être uni- ou bilatéral. Deux muscles sont responsables de la fonction d'élévation de la paupière supérieure : le muscle releveur de la paupière innervé par les fibres parasympathiques du III et le muscle de Müller innervé par les fibres sympathiques.
Un ptosis aigu doit faire éliminer plusieurs diagnostics urgents, pouvant impliquer le pronostic vital. Il ne faut pas méconnaître une rupture d'anévrisme de la carotide interne avec atteinte du III, une dissection carotidienne avec un syndrome de Claude Bernard-Horner par lésion du réseau sympathique et une fistule carotidocaverneuse.
Les causes secondaires de ptosis aigu sont liées à une maladie de Horton, une infection, une myasthénie et enfin un ptosis mécanique traumatique ou tumoral.
L'examen permet ensuite d'éliminer les causes de pseudo-ptosis : dermatochalasis sans ptosis associé, énophtalmie homolatérale, rétraction palpébrale controlatérale, inflammation conjonctivale, blépharospasme, hypertropie ou dystopie supérieure.
L'anamnèse recherche donc en priorité des antécédents vasculaires ou neurologiques et les facteurs de risque cardiovasculaires : diabète, hypertension artérielle, hypercholestérolémie, surpoids, tabagisme. Elle renseigne sur les antécédents carcinologiques, les antécédents de dysthyroïdie, de zona. Elle recherche la notion de traumatisme récent (cervical ou crânien), des signes de myasthénie (dysphagie, dysphonie, fatigabilité, diplopie intermittente, aggravation vespérale des troubles), des signes de maladie de Horton (céphalée unilatérale, hyperesthésie du cuir chevelu, claudication de la mâchoire, diplopie, nausée, vertige). Enfin, Elle recueille la symptomatologie associée au ptosis : anomalie visuelle, diplopie, rougeur et douleur oculaire.
À l'examen clinique, la biomicroscopie recherche une vasodilatation conjonctivale (dilatation en tête de méduse typique d'une fistule carotidocaverneuse), mesure la pression intra-oculaire et renseigne sur le fond d'œil. La dilatation pupillaire s'effectue après avoir testé les réflexes photomoteurs. En cas de doute sur une fistule carotidocaverneuse, il faut rechercher une vasodilatation avec œdème papillaire, une asymétrie pupillaire ou anisocorie par myosis (pupille anormalement serrée dans l'obscurité ou mydriase, pupille anormalement dilatée à la lumière). Le test de l'oculomotricité relève des signes d'atteinte du III par limitation des muscles oculomoteurs correspondants, ou par faiblesse d'un muscle isolé dans le cadre d'une myasthénie. Il peut exister une exo- ou énophtalmie. On examinera donc attentivement les paupières :
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en mesurant l'ouverture de la fente palpébrale : entre 8 et 10 mm normalement ;
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en testant la fonction du releveur de paupière supérieure : course normale entre 14 et 18 mm ;
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en recherchant un signe de Cogan témoin de myasthénie ;
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en éversant les tarses supérieur et inférieur, afin de mettre en évidence une pathologie palpébrale responsable d'un ptosis mécanique ou une infiltration sous-conjonctivale (infiltration lymphomateuse, par exemple).
Au moindre signe évocateur de pathologie neurovasculaire (paralysie du III, syndrome de Claude Bernard-Horner, fistule carotidocaverneuse), une IRM avec angio-IRM s'impose en urgence, en consultation exploratoire. Elle analyse le territoire carotidien jusqu'au tronc supra-aortique à la recherche d'une dissection carotidienne, un anévrisme carotidien ou une fistule du sinus caverneux. Dans ces cas, on réalise un bilan complet immédiat, avec électrocardiogramme, prise de sang comprenant numération formule sanguine, VS-CRP, glycémie. On mesure la tension artérielle. Selon les résultats, un avis finalisé immédiat de neurochirurgie ou un aval neurologique seront organisés.
De plus, il est important de prendre une photographie initiale du patient dans les regards primaires, vers le haut, à jour frisant et en fermeture palpébrale, à visée évolutive.
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