Secourisme de base en urgence ophtalmologique
J. -L. BOURGES, C. VIGNAL -CLERMONT
Lorsque survient un accident impliquant l’œil, ou lorsqu’une symptomatologie oculaire se déclare brutalement, le patient se trouve volontiers à distance d’une prise en charge paramédicale ou médicale. Même si par chance un médecin, ophtalmologiste ou pas, est à proximité, il n’en reste pas moins hors de son contexte professionnel. Il n’est alors pas équipé pour proposer autre chose que quelques mesures immédiates, simples et souvent de bon sens.
Le délai de prise en charge spécifique peut parfois être utilisé au profit du patient. Il est parfois possible d’optimiser le pronostic final oculaire voire vital par quelques connaissances ou gestes simples, utiles en amont d’une prise en charge future plus efficace.
Les symptômes oculaires traduisent exceptionnellement un risque vital. Cependant, identifier précocement un item d’urgence vital dont la symptomatologie primitive serait oculaire permet de gagner un temps précieux. Cela peut parfois sauver la vie du patient en précipitant sa prise en charge et en optimisant son orientation initiale. Réciproquement, méconnaître les premiers signes d’une urgence vitale peut s’avérer fatal.
Les items et associations de symptômes les plus urgents ne sont pas tous repris dans ce chapitre, ceux-ci étant détaillés dans les chapitres précédents. Nous citons ici quelques situations emblématiques.
Le risque est celui d’une plaie oculaire perforante plutôt que seulement pénétrante. Elle est occasionnée par un corps étranger qui a traversé le globe oculaire de part en part et a continué son trajet vers le système nerveux central (base du crâne, cerveau, tronc cérébral, cervelet). Le patient est alors orienté préférentiellement vers une structure d’urgence (SU) générale disposant d’un plateau d’exploration suffisant et, au mieux, d’une compétence neurochirurgicale. Le pronostic oculaire passe naturellement au second plan, même s’il est critique.
Il faut penser à un accident vasculaire de type dissection carotidienne (myosis) (fig. 7-1) ou compression anévrismale de l’artère communicante postérieure (mydriase). Une exploration et une prise en charge de radiologie interventionnelle et/ou neurovasculaire immédiate sont alors requises.
a. Syndrome de Claude Bernard-Horner gauche. b. IRM correspondante objectivant la dissection carotidienne gauche (flèche).
Il faut évoquer un syndrome de Parinaud. Il traduit le risque de compression du tronc cérébral avec une menace des fonctions végétatives à court terme. Là aussi, la symptomatologie oculaire ne doit pas égarer l’orientation et retarder l’exploration cérébrale puis la prise en charge neurochirurgicale urgente.
Qu’elle soit monoculaire ou binoculaire, permanente ou transitoire, une cécité est toujours un signe d’appel fort vers un item d’urgence. L’aura migraineuse n’est qu’un diagnostic différentiel qui est confirmé par la levée rapide du symptôme, relayé par une céphalée hémicrânienne intense. Une cécité doit faire évoquer en première urgence une étiologie vasculaire emboligène. Elle nécessite, si elle est avérée, de prévenir un suraccident thrombotique potentiellement fatal. Il faut alors éviter les mouvements brusques et amples (exemple : fléchissement et/ou extension du cou) pour limiter les migrations possibles. Un pouls irrégulier oriente vers une possible cardiopathie emboligène. Il est alors recommandé d’orienter sans délai le patient vers une SU générale plutôt que vers un ophtalmologiste.
Une étiologie toxique aiguë, toujours possible, est devenue rare (principalement l’alcool méthylique) (fig. 7-2). Cela impose de soustraire le patient du toxique, bien que les lésions soient habituellement déjà constituées.
Le patient est aveugle.
La survenue d’une vision double – particulièrement si elle est associée à une autre symptomatologie neurologique des nerfs crâniens (anomalie pupillaire, ptosis, etc.) et/ou une céphalée et/ou un nystagmus – peut traduire un item d’urgence neurologique menaçant le pronostic vital tel qu’un anévrisme de l’artère communicante postérieure, une méningite, une apoplexie pituitaire (fig. 7-3), une mucormycose chez un diabétique, un botulisme ou une encéphalopathie. Dans tous les cas, il faut orienter le patient immédiatement vers une SU générale ou au mieux disposant d’une plateforme d’imagerie cérébrale et d’une réanimation.
a. Symptomatologie neurologique déficitaire de III douloureux très partiel, avec mydriase minime et ptosis gauches seulement. Le ptosis du patient a disparu le lendemain. b. Image d’IRM coronale en séquence T2 montrant l’adénome hypophysaire hétérogène ayant saigné avec envahissement du sinus caverneux gauche.
Il faut s’orienter avant tout chose vers une encéphalopathie aiguë. Les causes urgentes (vasculaires infectieuses et métaboliques) doivent être explorées par une IRM. Une prise en charge urgente neurologique s’impose. Dans ce cas aussi, le patient ne doit pas être orienté à tort vers un milieu ophtalmologique, avec une perte de temps intempestive pour sa prise en charge.
Une dysarthrie, des troubles de déglutition associés à un ptosis, voire une ophtalmoplégie doivent faire éliminer un (rare) botulisme. Le contexte est parfois évocateur : le patient a ingéré un aliment conservé artisanalement. Là aussi, l’orientation urgente n’est pas ophtalmologique mais vers une SU générale car d’autres étiologies sont plus fréquentes (syndrome de Miller-Fisher, ophtalmoplégies aiguës aux antigangliosides).
Chacun de ces deux signes doit impérativement amener à consulter en urgence un ophtalmologiste et faire réaliser une exploration du globe oculaire au minimum dans un premier temps. Il faut absolument éliminer un rétinoblastome. Pour ne pas retarder une prise en charge potentiellement très spécialisée, l’enfant doit directement être orienté en milieu ophtalmopédiatrique.
Le secourisme oculaire se définit par les mesures qui peuvent être prises utilement en amont d’une prise en charge organisée et/ou spécialisée. La devise du secouriste est « protéger, puis alerter, puis secourir ». Elle s’applique aussi au domaine de l’ophtalmologie.
Protéger consiste à créer les conditions qui évitent un sur-accident. Il s’agit principalement du retrait du patient et de ses yeux à l’exposition de l’agent toxique ou vulnérant.
Alerter est une procédure assez stéréotypée en ophtalmologie d’urgence. Une symptomatologie oculaire peut traduire un item d’urgence non ophtalmologique (voir plus haut). L’orientation du patient ne doit pas être retardée par un avis ophtalmologique intempestif et se faire vers une SU générale. À l’inverse, il ne faut pas méconnaître une lésion oculaire pour laquelle l’avis spécialisé serait nécessaire.
Secourir consiste à pratique les gestes appropriés et possibles, par exemple sur le lieu d’un accident, avant l’intervention de secours organisés. Documenter par des images de smartphone peut s’avérer utile.
Quelques exemples de mesures simples et immédiates de secourisme oculaire sont proposés ci-dessous.
- –
Retrait de l’exposition : par exemple, par retrait d’un site dangereux, déshabillage, isolement des cheveux impliqués si le lavage n’est pas possible en même temps que le lavage oculaire.
- –
Rinçage immédiat, abondant et long (10 minutes) à l’eau (fig. 7-4), à l’eau minérale, au sérum physiologique en l’absence de solution amphotère.
Fig. 7-4 Brûlure oculaire = rinçage oculaire immédiat. - –
Ne pas essayer de neutraliser un toxique à pH élevé ou bas (car toxicité additionnelle).
- –
Pansement oculaire occlusif non compressif.
- –
Identification du toxique.
- –
Consultation ophtalmologique en urgence.
- –
Retrait de la lentille.
- –
Conservation de la lentille, du boîtier et du liquide d’entretien pour effectuer secondairement une analyse éventuelle.
- –
Ne pas remettre la lentille de contact sans avis ophtalmologique.
- –
Ne pas instiller de corticoïde dans l’œil.
- –
Consultation ophtalmologique en urgence.
- –
S’il est superficiel visible ou s’il est ressenti mais non visible :
- •
rincer à l’eau ou au sérum physiologique, retourner la paupière supérieure (fig. 7-5) ;
Fig. 7-5 Retournement de la paupière supérieure en appuyant avec un objet mousse dans le pli tarsal supérieur (a) et en plaquant le tarse retourné sur le rebord orbitaire supérieur (b). - •
une ablation peut être tentée à l’aide d’une compresse, d’un mouchoir en papier propre (pas d’objet pointu) ;
- •
consultation généraliste ou ophtalmologique en urgence si persistance d’une gêne, d’une inflammation ou baisse d’acuité visuelle.
- •
- –
En cas de projection à haute cinétique (éclat, percussion, etc.) :
- •
il faut suspecter une plaie du globe avec corps étranger intra-oculaire ;
- •
appliquer un pansement oculaire propre occlusif non compressif ;
- •
consultation ophtalmologique en urgence.
- •
- –
En cas de corps étranger pénétrant le globe oculaire, partiellement extériorisé :
- •
ne pas tenter une ablation ;
- •
isoler l’œil dans un cadre rigide pas forcément occlusif (culot de bouteille plastique découpé et émoussé, gobelet, rouleau de carton, etc.), mais permettant d’éviter toute mobilisation secondaire ;
- •
consulter dans une SU disposant d’une compétence ophtalmologique ;
- •
ne pas manger ni boire ni fumer jusqu’à l’avis ophtalmologique.
- •
- –
Ne pas appuyer sur le globe oculaire.
- –
Pansement oculaire occlusif non compressif.
- –
Proscrire la position déclive.
- –
S’enquérir du statut vaccinal antitétanique.
- –
Ne pas manger ni boire ni fumer jusqu’à l’avis ophtalmologique.
- –
Consulter dans une SU disposant d’une compétence ophtalmologique.
- –
Ne pas suturer une plaie palpébrale associée avant d’avoir assuré l’étanchéité stable du globe oculaire.
- –
Ne pas agiter la tête.
- –
Regarder en permanence vers le bas jusqu’à l’avis ophtalmologique.
- –
Consultation ophtalmologique en urgence.
- –
Prendre le plus rapidement possible l’avis d’un ophtalmologiste.
- –
Ne pas attendre que le symptôme s’amende spontanément.
- –
Instiller un collyre contenant un corticoïde toutes les heures dans l’œil greffé.
- –
Consultation ophtalmologique dès que possible et au plus tard dans les 24 heures.
Quelques notions de secourisme oculaire permettent d’optimiser une prise en charge plus structurée de l’urgence oculaire. Elles maximisent les chances de préserver le pronostic futur de l’œil concerné. Secourir son œil ou celui d’un patient nécessite de connaître les recours d’urgence ophtalmologiques ou généraux accessibles et disponibles dans son environnement. Pour cela, il est sage de les avoir identifiés en amont.